mardi 30 juin 2015

4ème Carnet - 21 et 23 novembre 1918

21 novembre. – Tableaux faux.


Nos ministres se sont cotisés et ont donné à Clemenceau un Daumier, une scène de Don Quichotte. Deux de nos meilleurs experts, Georges Bernheim et Hessel, auxquels le tableau fut présenté, m’assurent qu’il est faux (1).

Aujourd’hui, à la vente de Némès, un sujet hongrois, on a vendu trois faux Van Gogh (Francs : 7 200,4 800,18 000) et un vrai Renoir (Francs : 22 000) mais tellement retouché qu’il ne vaut guère mieux que les Van Gogh.

23 novembre. – Vente du vicomte de Curel.
Par suite de décès et de partage entre trois enfants. Les héritiers ont cru un moment qu’ils étaient ruinés, leur fortune se trouvant en Alsace-Lorraine. La collection se compose d’une soixantaine de numéros. Georges Petit me raconte que Curel, un jour, est entré chez lui et lui a dit : « Je veux acheter des tableaux, conseillez-moi. » Il lui vendit aussitôt le Corot : Le Lac de Terni pour cent vingt mille francs (n° 1).


C’est le plus gros prix qu’il ait jamais donné après le Chardin (n° 23) : La Maîtresse d’école qu’il a payé cent cinquante mille francs. Mais c’est Georges Sortais qui lui a vendu presque tous ses anciens et il a été choisi comme expert par la famille.


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Note de l'éditeur

(1) Clémenceau l'a laissé au Louvre auquel sa famille l'a offert et notre musée national a dû le refuser car il est incontestablement faux.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

dimanche 28 juin 2015

4ème carnet - 17 - 20 novembre 1918

17 novembre. – Au cimetière.


La joie enclose en mon cœur, j’ai dit à mon père que l’Alsace lui était rendue. Ce soir, mes fils s’endorment avec des drapeaux à leur lit et à leur berceau.

La journée de l'Alsace-Lorraine


Cent cinquante mille hommes défilent devant la statue de Strasbourg. Elle avait fière allure avec son écharpe, avec son drapeau !

18 novembre. – Le Lawrence Chaponaj.

Nathan Wildenstein l’a vendu quatre-vingt mille francs à Arthur Veil-Picard.

19 novembre. – Sur Seymour de Ricci.

Ecrivain d’art, dont Schloss, le fils de l’amateur, me dit : « Il a une mémoire prodigieuse, a refait le Cohen, connaît dans toutes les langues, toutes les inscriptions de tous les monuments du monde. J’étais en classe avec lui. C’est un fin lettré, un intellectuel délicat, le nouveau Pic de La Mirandole. ; eh bien, pendant qu'il était soldat et en mission en Italie, sa femme passée infirmière est devenue amoureuse d'un ouvrier électricien qu'elle soignait et qui avait une jambe de bois, et elle s'est enfuie avec lui.  » Tandis que Schloss parle, j’évoque la figure et la personnalité de Ricci ; son corps ressemble à une aiguille à tricoter en os avec une boule au bout mal taillée et c’est sa tête. Il parle, il parle tant qu'il vous oublie ; sa femme l'a oublié, elle nous a tous un peu vengés.

20 novembre. – Une tapisserie gothique.



Elle se trouve au château de Lagoy à St-Remy, près d’Avignon, où Chanas me conduit, et j’en offre cent trente mille francs avec deux petites gouaches de Moreau et deux miniatures dont une de Dumont.

Au Palais des Papes.


Nous nous présentons pour le visiter. Défense d’entrer. Le château est devenu le dépôt de toutes les banques parisiennes. L’argent salit tout.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

vendredi 26 juin 2015

4ème Carnet - 15 et 16 novembre 1918

15 novembre. – Sur le maréchal Joffre.


Mme Cadou, qui, pendant la guerre, a habité Auteuil à côté du maréchal, me raconte qu’au moment où les autorités municipales ont fait bleuter tous les réverbères pour supprimer le halo sur Paris, elle a vu Joffre, un matin, en petite tenue, faire mettre, par son chauffeur monté sur une échelle, une seconde couche de bleu sur les vitres du réverbère planté près de son hôtel. «Davantage, davantage», criait-il à l’homme. A quelle préoccupation obéissait-il ? Je livre le fait.

16 novembre.

D'après l'édition de 2011, le mystérieux X est Edmond Araucourt *

Je parle à Jacques Hillemacher de mon projet de donner en Amérique des conférences sur l’art et il me dit : « X…, qui est un de nos bons amis, touche mille francs quand il parle et il se trouble fort souvent. Je l’ai entendu, un jour, parler sur Racine, confondre titres et personnages, s’en apercevoir, bredouiller, ne plus faire que : « euh, euh, euh. » L’auditoire s’impatiente et un spectateur frappe avec sa canne le plancher à coups redoublés. X… sursaute et, retrouvant ses esprits, s’écrie : « Cette manifestation est basse, car vous savez que vous vous adressez à X…, « tandis que moi je ne réponds qu’à un fauteuil numéroté. »Un autre jour, au pupitre de l’Odéon, mon père allait conduire une œuvre de X… Le rideau ne se levait pas, le public s’impatientait et pour le calmer mon père fit accorder les violons ; il allait jouer quelque ouverture quand X… se jette devant le rideau et crie, furieux, au public : « Vous êtes venus pour entendre mes vers, vous n’entendrez que mes vers. » Une autre fois, au Trocadéro, il cherche, pour une dame, un fauteuil qu’il trouve, mais quand il revient avec sa compagne la place est prise par un spectateur qu’il somme de se lever et qui lui répond tout simplement : « J’y suis, j’y reste. » X… se précipite sur l’homme. On attrape notre ami par les épaules, on parvient à le tirer en arrière, mais le poète montrant encore le poing à son antagoniste, hurle : « Monsieur, considérez votre oreille arrachée. »

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Note de l'auteure du blog

* Edmond Haraucourt, né à Bourmont dans la Haute-Marne le 18 octobre 1856 et mort à Paris le 17 novembre 1941, est un poète et romancier français, également compositeur, parolier, journaliste, auteur dramatique et conservateur de musée.
Il commence sa carrière d'auteur par la publication d'un recueil sulfureux pour son temps, La Légende des sexes, poèmes hystériques et profanes, paru en 1882 sous le pseudonyme de « Sire de Chambley » et contenant le Sonnet pointu qui préfigure les calligrammes de Guillaume Apollinaire. Il est conservateur du musée du Trocadéro de 1894 à 1903 et du musée de Cluny de 1903 à 1925. Un sixain de lui est gravé sur le socle de La Force brutale étouffant le génie, marbre par Cyprian Godebski (1888, Musée de Toulon). Il fait partie des Hydropathes et collabore à La Jeune France. Il est président de la Société des gens de lettres de 1920 à 1922.
Il vécut à Saint-Dizier dans le nord de la Haute-Marne dans une maison situé dans le centre de la rue du Docteur Mougeot. Il légua sa propriété, située sur l’île de Bréhat (Côtes-d'Armor), à la Cité internationale universitaire de Paris.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mercredi 24 juin 2015

4ème Carnet - 14 novembre 1918

14 novembre. – Blériot.



C’est le premier aviateur qui ait traversé la Manche. L’ami qui m’a donné un mot pour lui, m’a appris qu’il achète des objets d’art. Je vais le trouver avenue Kléber, où il demeure, et je suis stupéfait de voir un monsieur qui n’a nulle apparence sportive. Il est réfléchi et ressemble plutôt au directeur très assis de la grande compagnie d’assurance. Il me dit : « Ah ! ce n’est pas le moment, ce n’est pas le moment, toutes nos commandes sont arrêtées. Dans six mois, nous refabriquerons des aéros, mais, en attendant, nous allons nous mettre aux meubles pour les régions dévastées. » Il m’explique qu’il préfère les objets d’art aux tableaux.

Un mot de Picasso.

Jean Metzinger, Portrait de Léonce Rosenberg, Musée National d'Art Moderne,
Centre Georges Pompidou, Paris
Source Wikipedia

On l’a dévalisé cet été. Un ami le rencontre chez Léonce Rosenberg qui expose quelques-uns de ses imitateurs. Le marchand lui dit : « Vous avez été cambriolé. – Pillé », répond Picasso en montrant les tableaux autour de lui.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

lundi 22 juin 2015

4ème Carnet - 12 novembre 1918

12 novembre 1918. – Lendemain d’armistice.


Source : Musique militaire

J’ai passé mon après-midi et ma soirée sur les grands boulevards. La foule a doublé ; la joie, est-ce possible ? a centuplé. Les femmes sont folles mais sages. Pas un homme ivre. Des baisers, beaucoup de baisers, des oiseaux qui s’embrasseraient au vol. Les soldats américains sont les plus fêtés, et ils sont aussi les plus exubérants. Autour d’eux tournent des rondes échevelées. Devant la Madeleine, sur un refuge, un Sammy, très applaudi, chante, et presque sans accent, La Madelon *.



Avec ma femme, nous entrons dîner chez Larue et deux midinettes nous crient : « Ah ! les voilà les nouveaux riches ! » Hier soir, sur le balcon de l’Opéra (le théâtre faisait relâche) Chenal **, sous l’arche toute illuminée du milieu, a chanté La Marseillaise, mais aujourd’hui le théâtre joue, et la foule presque sans espoir réclame encore Chenal.


Le peuple, heureux, va recevoir sa récompense. On lui annonce, vers 10 heures, que sa favorite va paraître, mais le temps passe et elle ne vient pas. Un machiniste l’annonce toutes les cinq minutes ; à la fin on le hue, alors il crie : « Attendez, elle est su’l’pot. » La foule éclate de rire et se calme. Voici Chenal. Elle chante La Marseillaise. La foule se tait, et puis c'est le délire. Il est près de minuit, le dernier métro est passé. Qu’importe ! Ce soir on rentre à pied aux plus lointains quartiers !

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Notes de l'auteure du blog :

* Chant qui donna ensuite une version spéciale victoire dite La Madelon de la Victoire (musique de Lucien Boyer)

I Après quatre ans d'espérance
Tous les peuples alliés
Avec les poilus de France
Font des moissons de lauriers
Et qui préside la fête ?
La joyeuse Madelon,
Dans la plus humble guinguette
On entend cette chanson:

Ohé Madelon !
A boire et du bon !

Refrain

Madelon, emplis mon verre,
Et chante avec les poilus,
Nous avons gagné la guerre
Hein ! Crois tu, on les a eus !
Madelon, ah ! verse à boire
Et surtout n'y mets pas d'eau
C'est pour fêter la victoire
Joffre, Foch et Clemenceau ! autre version remporté par nos héros

II

Sur les marbres et dans l'histoire
Enfants vous verrez gravés
Les noms rayonnants de gloire
De ceux qui nous ont sauvés
Mais en parlant de vos frères
N'oubliez pas Madelon
Qui versa sur leur misère
La douleur d'une chanson

Chantons Madelon
La muse du front !

III

Madelon la gorge nue
Leur versait le vin nouveau
Lorsqu'elle vit toute émue
Qui ? le général Gouraud.
Elle voulut la pauvrette
Se cacher dans la maison
Mais Gouraud vit la fillette
Et lui cria sans façon:

Ohé, Madelon !
A boire et du bon !

** La cantatrice Marthe Chenal, engagée comme infirmière et chanteuse au front, "incarnation vivante de la Marseillaise", peut entonner le 11 novembre 1918 l’hymne national sur les marches de l’Opéra de Paris devant la foule.
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

samedi 20 juin 2015

3ème Carnet - 11 novembre 1918

11 novembre. – Victoire !

Le train de l'Armistice 11 novembre 1918

A 5 heures, ce matin, signature de l’armistice.
A Paris, la nouvelle court de bonne heure, tout le monde vous la dit, personne n’en est certain, mais à 11 heures, à la seconde où cessent les hostilités, les cloches se mettent à sonner, le canon à tirer. Je suis sur la place de la Concorde, le ministère de la Marine suspend des panoplies de drapeaux. Beaucoup de retenue. Quelques monômes. Les gens vont déjeuner, heureux, c’est tout.


Mais à 3 heures, quel changement ! Je descends les Champs-Elysées, la foule est compacte. Grande animation, et que vois-je ? Suspendu au bout d’une longue perche un mannequin, c’est Guillaume II. On le traîne, on le pousse sur un canon que des ouvriers ont pris au bord d’un trottoir. L’empereur porte un pantalon noir, une casquette et une ceinture rouge de souteneur.

Une caricature montrant Guillaume II chassé à coups de pieds dans le derrière


Ses moustaches conquérantes sont faites avec de la paille et on lui a passé autour du cou une pancarte blanche avec en rouge : Assassin. On le conduit devant la statue de Strasbourg où on le brûle, mais la pancarte ne brûle pas et le mot « Assassin » ne disparaît pas.


La foule n’est plus qu’une mer humaine. Des cris, des chants, des monômes rue Royale et tout au long des grands boulevards. Tout Paris a congé. Beaucoup de mots drôles jaillissent : un soldat anglais a un peu bu et on entend une voix : « En voilà un qui n’a pas connu les restrictions. »

Des canons allemands sont traînés, le 11 novembre 1918, sur la place de l'Opéra et les boulevards, au milieu des farandoles. Source : l'album de la guerre 1914-1919. © L'illustration

La circulation est arrêtée sur les grands boulevards que, seuls, parcourent les gros tracteurs automobiles américains qui portent jusqu’à cent cinquante personnes, Dieu sait comment, et j’entends un gamin de Paris : « Le voilà le char d’assaut. » On conspue beaucoup Guillaume. On n’entend que cette chanson ou plutôt ces deux lignes dites sur un ton « ouvere-rier » :
Y fallait pas qu’y aille,
Y fallait pas y aller.

Place de l'Opéra 

Sur la place de l’Opéra où un curieux et perpétuel remous se produit, parce qu’on y arrive sans cesse de tous côtés, c’est une houle. J’entends un gosse dire : « C’est le tango », et cette réflexion est mer-veilleuse de vérité. Je reste là jusqu’à 7 heures. J’y retourne après le dîner avec ma chère femme qui, d’ordinaire, a une telle horreur de la foule, mais qui l’aime, ce soir, parce qu’elle est magnifique dans sa joie à la fois hystérique et saine. La grande foule de la guerre s’en donne à cœur joie. Et que de gens en deuil et qui pleurent ! Ils sont quand même heureux car c’est le jour de gloire.

FRANCE = VICTOIRE

Fin du 3ème Carnet


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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

jeudi 18 juin 2015

3ème Carnet - 4 au 10 novembre 1918

4 novembre. – L’Autriche capitule.

L’armistice a été signé hier. Les hostilités cessent aujourd’hui à 15 heures.

5 novembre.

Louis Renault en 1919

Louis Renault, le constructeur d’automobiles, nous achète quelques tableaux.

6 novembre. – Sur un cimetière.


Je n’ai jamais vu le vieux cimetière de Passy, sur la place du Trocadéro. J’y monte, c’est dans la rue des Réservoirs. Sur la porte des morts, une plaque bleue. Ils demeurent au numéro 2. J’entre et je lis : A droite, bureau du conservateur. J’avance et je vois sur des emplacements inoccupés des salades, des choux et des légumes. C’est la guerre !
De là, je me rends chez Beltran Masses, je lui raconte ma visite et il me dit : « Quand je suis arrivé à Paris, je passais tous les jours place du Trocadéro et avenue Henri-Martin. Voyant d’en bas ce magnifique jardin suspendu, je disais à ma femme : « J’aimerais être assez riche pour habiter là ; il doit être heureux celui dont c’est la demeure. »

7 novembre. – Un buste de Madame Roland.*


Madame Roland (1893) par Emile Carlier (1849-1927) 
 Manon Philipon, dite "Madame Roland" (1754-1793) Musée de Montpellier

A Auxerre, chez un libraire, Roy de Jonchère. Je vois une terre cuite, une femme, 93, un nez révolté, elle a trente-cinq ans, des boucles frémissantes, des nerfs dans les yeux. Je l’achète quinze mille francs.

Un bibliophile.

Planche tirée de Thérèse philosophe, l'un des deux ou trois ouvrages pornographiques majeurs du XVIIIe siècle (BNF).

« Un habitant d’ici, me raconte Roy de Jonchère, avait, pendant soixante ans, ramassé tous les livres à figures du XVIIIe ; il en avait quatre cents de belle qualité, beaucoup fort licencieux. C’était un vieil athée, sa femme une catholique fervente qui avait éduqué leur fils dans un esprit étroit. Elle avait souvent menacé son mari de brûler ses livres et le voilà qui tombe paralysé ; il sait qu’elle va mettre son projet à exécution. Il avait, pour ainsi dire, perdu l’usage de la parole et, avec une ingéniosité de prisonnier et de prisonnier surveillé, il fait entrer chez lui, sans qu’on s’en aperçoive, un marchand de livres auquel il vend les siens pour cinq cents francs. Ils lui avaient coûté cher et valaient une fortune. Il parvient à faire comprendre à l’homme qu’il faut les enlever à l’insu de tous. Le plan réussit. D’où venait ce libraire, de Paris, de Lyon ou d’autre part ? on ne l’a jamais su. Notre paralytique, interrogé avec violence par sa femme, s’est renfermé jusqu’à son dernier jour dans un mutisme stoïque. »

La revanche.


Raucourt, en allant vers Sedan

Nous entrons à Sedan. Les parlementaires allemands sont en route pour le front.

Le 7 novembre, le maréchal Paul von Hindenburg, chef de l'État-Major allemand, propose une rencontre à Foch. Quatre voitures surmontées d’un drapeau blanc – en réalité une simple nappe réquisitionnée à Fourmies – arrivent par Rocquigny jusque Haudroy. Là, les plénipotentiaires allemands conduits par le Général Von Winterfeldt sont accueillis par le Capitaine Lhuillier, Commandant le 1er bataillon du 171e régiment d’infanterie...**


8 novembre. – Les plénipotentiaires.



A 11 heures, ce matin, Foch leur a communiqué les conditions d’armistice. Ils ont dû, ma foi, les trouver dures. Ils devaient pouvoir traiter et ils veulent en référer au grand quartier. Foch leur accorde soixante-douze heures. C’est beaucoup pour des joueurs qui ont perdu la partie.

10 novembre. – Abdication et fuite du Kaiser.


Guillaume II en 1918

Le titre suffit.

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Note de l'auteure du blog

* Manon Philipon est l'épouse de Jean-Marie Roland de La Platière. Extrêmement cultivée, elle tint à Paris, pendant la Révolution, un salon à Paris fréquenté par les Girondins et fut guillotinée avec ses amis.

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... Le Caporal Sellier peut alors sonner le cessez-le-feu. Après un passage par la Villa Pasques, à La Capelle, deux autres haltes à Homblières et à Tergnier, le cortège gagne la clairière de la forêt de Compiègne où l’attend le wagon du maréchal Foch et un train aménagé pour la délégation allemande. Durant les trois jours, les Allemands n'ont que peu d'occasions de véritablement négocier. Ils doivent rapidement se plier aux conditions développées dans un texte qui leur est soumis. Ce texte avait été établi en dernier lieu par Foch, au titre de commandant suprême des forces alliées, après un mois de positions divergentes de Wilson, Clemenceau, Orlando et Lloyd George. Le 9 novembre, le Prince de Bade conseille au Kaiser l'abdication. Il quitte l’Allemagne pour s’exiler aux Pays-Bas.
Source le blog de JJ.Thomas

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mardi 16 juin 2015

3ème Carnet - 31 octobre 1918

31 octobre. – Le vandale.

Balzac, seul, aurait pu l’imaginer. Voici l’histoire que me conte Demotte, l’antiquaire de la rue de Berri, en me montrant dans un immense garage d’automobiles à Levallois les restes d’une belle façade de château gothique. « Ces pierres, ces portes, ces fenêtres proviennent d’un château à Charantonnet qui était habité par une vieille famille de nobles très pauvres. Le greffier de Sancerre, la ville voisine, s’acharnait contre eux pour une cause que j’ignore. Il parvint à consommer leur ruine, fit vendre leur château et l’acheta. Sa vengeance ne s’arrêta pas là. Son idée était de démolir le château de fond en comble. J’arrivai en même temps que les démolisseurs. Je lui dis : « Arrêtez-les. – Non, je veux détruire ce château. – Mais pourquoi ? – Je veux le détruire. – Je vous l’achète, voici mon offre. – Je m’en moque, je veux détruire ce château. – Et cette destruction, combien vous coûte-t-elle ? – Trente mille francs. – Je vous les donne. – Je n’en veux pas, je veux détruire ce château. »
« Je n’ai jamais pu sortir une autre phrase de la bouche de cet homme. Je me suis arrangé avec l’entrepreneur pour sauver ces restes. »

La Toussaint.


Comme presque tous les dimanches, je me rends au petit cimetière Montparnasse sur la tombe de mes parents que j’ai tant aimés. La prochaine place est pour moi. Je porte toujours en moi l’effroi de ne pas descendre dans la tombe à mon juste tour.

La grippe*.


Soldats français morts de la "grippe espagnole" en 1918

Une épidémie affreuse ravage le monde. Elle tue plus que la guerre. La semaine dernière, à Paris, plus de deux mille cinq cents morts au lieu de la moyenne de sept cents. Les entreprises de pompes funèbres manquent de bras et de matériel, et quand les pauvres meurent ensemble, on les entasse dans la même bière.


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Note de l'auteure du blog

* La grippe de 1918, surnommée « grippe espagnole », est due à une souche (H1N1) particulièrement virulente et contagieuse de grippe qui s'est répandue en pandémie de 1918 à 1919. Cette pandémie a fait 30 millions de morts selon l'Institut Pasteur, et jusqu'à 100 millions selon certaines réévaluations récentes. Elle serait la pandémie la plus mortelle de l'histoire dans un laps de temps aussi court, devant les 34 millions de morts (estimation) de la peste noire.
Apparemment originaire de Chine, le virus a gagné rapidement les États-Unis, où il aurait muté pour devenir plus mortel. Cette nouvelle souche est trente fois plus mortelle que les grippes communes avec 3 % des malades. Elle devint une pandémie, lorsqu'elle passa des États-Unis à l'Europe, puis dans le monde entier par les échanges entre les métropoles européennes et leurs colonies. Elle fit environ 408 000 morts en France, mais la censure de guerre en limita l'écho, les journaux annonçant une nouvelle épidémie en Espagne, pays neutre et donc moins censuré, alors que l'épidémie faisait déjà ses ravages en France. Elle se déroula essentiellement durant l'hiver 1918-1919, avec 1 milliard de malades dans le monde, et 20 à 40 millions de morts, selon de premières estimations très imprécises faute de statistiques établies à l'époque. Au début du XXIe siècle, le maximum de la fourchette reste imprécis mais a été porté à 50-100 millions, après intégration des évaluations rétrospectives concernant les pays asiatiques, africains et sud-américains. En quelques mois, la pandémie fit plus de victimes que la Première Guerre mondiale qui se terminait cette même année 1918 ; certains pays seront encore touchés en 1919.
Voir plus de détails sur le virus et la pandémie sur Slate

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

dimanche 14 juin 2015

3ème Carnet - 29-30 octobre 1918

29 octobre. – Un Monet.


Je viens de voir chez Rosenberg La Japonaise à l’éventail. Monet m’avait dit que c’était une œuvre très médiocre. Cette toile est à un beau tableau ce qu’une potiche moderne japonaise est à un ancien vase noir de Chine. Rosenberg en demande trois cent mille francs.

30 octobre. – Cbez Georges Lepape, 44, rue Notre-Dame-de-Lorette.


Georges Lepape en 1913

C’est un des chefs du mouvement de l’art décoratif moderne.
Le 44, c’est tout simplement cinq étages de fenêtres percées dans un mur. Escalier bourgeois avec, à chaque palier, la double porte couleur chocolat. Il demeure au cinquième, il m’ouvre. Il a une bonne face réjouie, de grosses joues amicales et des pommettes vives de bébé primé, il n’a pas de menton. Ses yeux sont sincères et sa poignée de main sans restriction.
L’entrée est d’un jaune frais, d’un jaune jardin, un peu comme la salle à manger de Claude Monet. En face, la salle à manger. A droite, un grand escalier avec jour du haut et de côté, plinthes et corniches peintes avec un gris perlé, le mur est tapissé d’un papier violet moderne, à longues raies d’inégales largeurs. Un divan plat et très bas recouvert d’une étoffe d’argent. Quelques chaises. Une sorte de grande table Tronchin en bois blanc qu’il promène et sur laquelle il travaille debout. Dans le coin, à droite, une autre table pour travailler assis ; au-dessus, au mur, deux rangées de livres dans des casiers également peints en gris.


Lepape me montre beaucoup de ses dessins. J’admire ses belles couleurs juvéniles. Il me dit : « C’est Poiret, le couturier, qui le premier m’a montré la couleur. Il m’étala des étoffes merveilleuses et brillantes et me dit : « Copiez-les et faites-moi des modèles de robes. »
— Et les ballets russes ?
— Ils m’ont aussi influencé.
— Dessinez-vous d’après modèle ?
— Non, mais je commence toujours par une esquisse ; je ne suis pas long à composer mais lent à penser.

Gouache Les vendanges de Lepape

Il me fait aussi défiler des gouaches, des paysages de Bretagne, d’autres, près de Granville, très brillants.
Pendant le thé la conversation tombe sur le cubisme et Picasso. « On m’a raconté, dit Lepape, que Picasso a répondu à une dame qui voulait avoir son portrait et lui demandait un rendez-vous pour poser : « Vous n’avez qu’à m’envoyer « une mèche de cheveux et votre collier. »

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

vendredi 12 juin 2015

3ème Carnet - 23-25 octobre 1918

23 octobre. – Sur Toulouse-Lautrec.


« Il fut très mal vu de sa famille, me dit Georges Bernheim, jusqu’au jour où il devint célèbre. Alors, Séré de Rivières, son parent, un très auguste président au tribunal de la Seine, lui demanda de peindre sa fille ; Toulouse-Lautrec, ironiste, lui donna deux nus, des femmes de b… l, et les lui fit mettre de chaque côté du portrait. 
J’ai acheté une des toiles. » « Le portrait ? » dis-je. « Ah ! mais non, clame Bernheim, j’ai acheté une des femmes de b… l. »

25 octobre. – Collection Arthur Veil-Picard.

Arthur Veil-Picard (le plus grand des deux, forcément !!) avec son entraîneur Georges Batchelor

Son hôtel qu’il a payé un million huit cent mille francs est un bâtiment rectangulaire, 63, rue de Courcelles, entre cour et jardin. Le terrain s’étend jusqu’au faubourg Saint-Honoré. A gauche, le pavillon de la concierge dont la petite porte est toujours ouverte, à droite, les écuries. Au fond, quelques marches, un perron et l’hôtel, mais depuis quatre ans c’est un hôpital bénévole. Il me faut chercher l’entrée de service que je trouve à droite ; je descends quelques marches dans l’obscurité et je débouche dans la cuisine. Une bonne me montre l’escalier des domestiques et je monte deux étages. C’est le chemin que, depuis la guerre, Veil-Picard est obligé de suivre chaque jour pour gagner ses appartements qui regardent sur les jardins. A côté de sa chambre, il a installé une pièce qui lui sert d’antichambre, de bureau, de salon et de cabinet d’amateur.

Portrait de Marie Solare de La Boissière, comtesse de Sesmaisons par Maurice Quentin de La Tour

— René Gimpel, me dit-il, je n’ai plus de collection, elle est à Pontarlier. Regardez le La Tour que je viens d’acheter au comte de Clermont-Tonnerre. Voyez si c’est beau. C’est le portrait de Marie Solare de La Boissière, comtesse de Sesmaisons.
— Elle a un masque à la Voltaire, elle lui ressemble, c’est beau comme un Houdon.

Marie-Gabrielle-Louise de La Fontaine Solare de La Boissière, marquise de Sesmaisons Gilles-Edmé Petit (graveur) ; d'après Maurice-Quentin de La Tour (peintre) *

— Regardez le bleu velouté de sa robe, le manchon dans lequel ses mains se réfugient et cette fourrure de tigre ! Petit l’a gravé et Clermont-Tonnerre en a le dessin.
— Vous devriez le lui demander.
— Il me le donnera car nous sommes des copains.
Il poursuit :

Le portrait de Gabriel Bernard des Rieux  par La Tour est aujourd'hui au musée Paul Getty

— Je ne voulais pas de votre pastel, Le Président de Rieux, il est trop grand pour moi ; j’ai payé celui-ci cent cinquante mille francs et j’ai donné cinquante mille francs pour ses deux Pigalle qui sont sur la commode : l’Enfant à l’oiseau et l’Enfant au nid. Tous deux signés : Pigalle, sculpteur du Roy, 1768.


Ces marbres sont de qualité médiocre. Je vois à côté du tableau de Clermont-Tonnerre deux beaux La Tour de même dimension, Le Graveur Schmidt ...

Maurice Quentin de la Tour - Portrait de femme, en costume de bal, tenant un masque (Collection de M. Arthur Veil-Picard)

et le portrait d’une femme tenant un masque de sa main gauche, exposé aux Cent Pastels, et de l’ancienne vente Laperlier. Le Graveur Schmidt avait passé aux ventes San Donato et Laperlier et dans cette dernière il avait dû être adjugé dans les quatre mille francs.
Du second, Veil-Picard me dit qu’il l’a acheté sept mille francs, il n’y a pas dix ans. Je lui en offre soixante-dix mille. Il me raconte : « Après la vente Laperlier, ce pastel, Le Graveur Schmidt, est parti en Allemagne et un beau jour on me l’apporte pour trente-cinq mille francs, je le voulais. J’en offre trente mille, mais votre père l’achetait entre temps, le vendait le jour même quarante-cinq mille à son client Ernest Crosnier et, à sa vente, je l’achetai quatre-vingt-dix mille francs.

John Russell - Portrait de Mrs. Currie (Collection de M. Arthur Veil-Picard)

Regardez aussi ce pastel par Russell qui fut également exposé aux Cent Pastels en 1907, il a son histoire. C’est un portrait assez fade de jeune femme. A la vente Leroi-Gauchez je pousse jusqu’à soixante mille francs, puis je me lève en disant à mon voisin, un marchand, de mettre encore mille francs. Quelques minutes après, j’avais gagné le fond de la salle, où l’on m’apprend que le pastel a été adjugé quatre-vingt mille francs. Je demande quel est l’imbécile qui l’a acheté et on me répond que c’est moi ! L’animal de marchand avait mal compris mon ordre.

Maurice Quentin de la Tour - Portrait de Watelet, de l'Académie française, 62x52 cent. (Collection de M. Arthur Veil-Picard)

Par contre, je n’ai payé que quarante mille francs cet autre La Tour, portrait de Watelet, à Arnault, de l’Ariège. Regardez encore ce Lami intitulé Le Dernier Galant. Il provient de chez Scott, l’héritier de Wallace. Jacques Seligmann l’a vendu quatre mille francs. »

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Note de l'auteure du blog

* Cette estampe fait partie de la série de grands albums reliés contenant des portraits gravés et provenant du cabinet de gravures constitué par Louis-Philippe, duc d'Orléans puis roi des Français. La constitution des albums s'est étendue pendant plus de vingt-cinq ans et était conservée au Palais-Royal. Sur les 114 volumes dont on garde la trace, 75 sont aujourd'hui conservés à Versailles dont 65 seulement contiennent des gravures - près de 16 500. Les albums furent ensuite conservés au manoir d'Anjou, près de Bruxelles, dans la collection d'Henri d'Orléans comte de Paris, puis, lorsqu'en 1948 le prince et sa famille quittèrent la Belgique pour se fixer au Portugal, les volumes furent mis en vente publique à Bruxelles. A la demande de Charles Mauricheau-Beaupré, le comte de Paris accepta de retirer les volumes et les vendit au château de Versailles pour 1 200 000 Francs. Cf. Delalex Hélène, " La collection de portraits gravés de Louis-Philippe au château de Versailles ", Revue des Musées de France - Revue du Louvre, 2009.
Source Archives de Versailles

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

lundi 8 juin 2015

3ème Carnet - 21 octobre 1918

21 octobre. – Avec Chanas.

C’est l’intermédiaire qui a gagné le plus d’argent. Je lui demande quels furent ses débuts et il me dit : « J’étais employé au P.L.M. à Marseille. J’avais une chambre chez un antiquaire, et un jour il vend devant moi une assiette pour trois cents francs. Une assiette ! J’en fus stupéfait : trois cents francs, alors que je ne touchais que cent cinquante francs par mois, un bout de porcelaine, une telle valeur. Je lui demande si c’est vraiment possible. « Trouvez-m’en », répond-il. Deux mois après je voyais dans une cour de ferme des poules picorer dans des assiettes du même genre, je les achète et je gagne deux cents francs. Jamais aucun argent depuis ne m’a causé autant de joie. »
Je roule avec Chanas dans le train qui nous conduit chez le comte de Saint-Léon où nous allons voir un temple d’amour que j’aimerais proposer à Du Pont de Nemours. Chanas a écrit au comte, et sans me prévenir, que j’étais un Américain. Ce Chanas est diabolique, il lui faut toujours des complications, il va me faire jouer un rôle ridicule.


En attendant, je l’interroge sur ses grosses affaires, et il me dit : « A Groult, j’ai vendu pour trois cent cinquante mille francs les cinq tapisseries chinoises de Boucher, dites tapisseries de Cyprio. Cyprio était un marchand de Marseille qui les avait achetées pour une douzaine de mille francs à une illettrée, à une bonne à tout faire qui en avait hérité de son maître, un professeur. Cyprio refusa de me donner ma commission, je lui intentai un procès qu’il perdit. Le notaire de la domestique le poursuivit à son tour et il fut condamné à remettre à cette femme cent cinquante mille francs pour avoir abusé de son ignorance.

Maurice Fenaille

« A Fenaille, je fis acheter pour trois cent cinquante mille francs le fameux mobilier du Marais qui appartenait à la comtesse de Noailles. Il était à fleurs, composé de quatre canapés, quatre bergères, quatre grands fauteuils, douze chaises, huit cantonnières. Même deux consoles par Delafosse furent comprises dans ce prix.

Buste de Madame Fenaille par Rodin

« Je lui fis acheter cinq cent mille francs les quatre merveilleuses tapisseries de Soubeyran.
« Je lui cherchai aussi un hôtel. Il ne voulait habiter que rue de l’Elysée. C’était une idée fixe. La rue est courte, il n’y avait pas un hôtel à vendre mais, soudain, j’eus une idée. Au 14 était l’ambassade d’Italie. Je vais trouver l’ambassadeur et je lui dis : « Comment osez-vous loger en face de l’Elysée ? Vous êtes facilement espionné. Quel enfantillage ! Déménagez ! » Il prit peur et partit vite. Fenaille eut son hôtel. »

Les Fragonard de Grasse**.
Fragonard la Poursuite (collection Frick)

Chanas continue : « Je les fis acheter huit cent cinquante mille francs à Charles Wertheimer, qui me donna vingt-cinq mille francs de commission. »

Chez le comte de Saint-Paul.

Il nous cherche à la gare en automobile. D’après la tradition**, le parc aurait été dessiné par Hubert Robert. Le château est Louis XIV, le comte l’a agrandi, il l’a doublé. Côté jardin, il a réédifié la façade de l’hôtel de l’Anglade qu’il a achetée à Paris. Il adore les vieilles pierres et il a aussi acheté à Paris le magnifique portail de l’hôtel du comte de Toulouse, le fils légitimé de Louis XIV et de la Montespan, et l’a monté près d’une entrée, au départ d’une allée. Il a agrémenté l’extérieur de son château de hauts-reliefs provenant de l’ancien hôtel de la Pompadour, rue Ménard.

La colonne rostrale à la mémoire de La Pérouse

Il nous montre ensuite une colonne érigée à la mémoire de La Pérouse...

Cénotaphe en l'honneur de Cook

...puis le monument sculpté par Pajou et élevé en l’honneur de l’explorateur Cook.

Le temple de l'amour source Nos randonnées

Le temple d’amour est à dix-huit colonnes, c’est une magnifique et haute construction dont les ornements sont très finement sculptés. Il est reproduit ainsi que la colonne à La Pérouse et le mausolée de Cook dans l’ouvrage de M. de Laborde, les trois monuments ayant appartenu au parc de Méréville qui se trouve à environ trente-cinq kilomètres d’ici.


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Notes de l'auteure du blog

* Maurice Fenaille, né le 12 juin 1855 à Paris, décédé le 11 décembre 1937, est un pionnier de l'industrie pétrolière, dont le nom appartient aussi à l'histoire de l'art en qualité de grand amateur, collectionneur et mécène.


Son père, qui s'était associé en 1853 avec un négociant en graisses, s'associe en 1855 avec deux autres personnes, introduit dans le commerce la fameuse Saxoléine, huile de pétrole destinée à l'éclairage. C'est le début de l'ère pétrolière. En 1881, Maurice Fenaille, entré dans l'entreprise quelques années plus tôt, part travailler aux États-Unis dans la filiale de Fenaille et Despeaux, installée à New York. Lorsque son père décède en 1883, il revient en France et il lui succède à la tête de l'entreprise; il ajoute à la Saxoléine l'Oléonaphtine et le Saxol, deux lubrifiants, ainsi que le Benzo-moteur, essence pour voitures et avions.


L'entreprise continue à se développer en même temps que l'utilisation du pétrole dans la vie courante; elle est renommée "La Pétroléenne", avant de prendre en 1936 le nom de "Standard Française des Pétroles", puis, en 1952, de "Esso Standard". Parallèlement, Fenaille voyage en Angleterre, en Espagne, en Palestine, en Italie, en Allemagne, en Égypte, où il assiste à l'ouverture du tombeau de Toutânkhamon. Il ramène de ses voyages les dernières nouveautés : des piscines, l'électricité domestique, des automobiles et des avions.
Amateur d'art, il consacre une grande partie de son temps et de son argent à aider les musées français, mais aussi au profit de nombreux artistes contemporains, auxquels il commande des œuvres (Auguste Rodin, Antoine Bourdelle, Viala, Jules Chéret...).


Entre 1908 et 1913, Fenaille parvint à sauver de la ruine le château de Montal près de Saint-Céré. Ce monument, reconstruit par Jeanne de Balzac entre 1523 et 1534, est le plus bel exemple de style Renaissance dans le Lot. Resté inachevé à la mort de Jeanne, il devint par la suite la propriété des Plas de Tanes. Veuf au moment de la Révolution, ce député de la noblesse aux États Généraux abandonna son domaine qui fut nationalisé comme bien d'émigré ; des aubergistes y installèrent leur affaire. Quelques pierres avaient bien été emportées, mais la ruine ne s'abattit véritablement qu'après 1879 lorsque le château fut acheté par un marchand de biens. 120 000 kg de pierres furent descellées, transportées sur des charrettes à bœufs jusqu'à la gare de Saint-Denis-lès-Martel et proposées à la vente lors de deux séances aux enchères à Paris; c'est à ce moment-là qu'intervint Fenaille, ému par le triste sort de Montal. Il tenta d'arrêter la seconde vente de 1903 et acheta finalement plusieurs pièces.
Par des achats auprès des collectionneurs du monde entier qui avaient acquis des morceaux du château, par des échanges avec des œuvres d'art de ses collections personnelles, Fenaille releva le château qu'il réussit à acheter en 1908.


Fait exceptionnel : des musées nationaux restituèrent les collections issues de Montal, dont la frise sculptée de 32 mètres de long par le musée des Arts Décoratifs, en échange de la cession de la demeure à l'État. D'autres pièces maîtresses demeurées dans des musées étrangers (notamment aux États-Unis), furent remplacées par des copies. Grâce à des moules, Fenaille demanda ces fac-similés à son ami Auguste Rodin, qui lui envoya son praticien Émile Matruchot. La carrière de Carennac fut spécialement rouverte, et le sculpteur put exécuter à l'identique la porte du logis et une lucarne. Fenaille prit également soin de meubler le château avec ses collections de tapisseries, de meubles des XVIe et XVIIe siècles, de vitraux allemands de la même époque.
Source sur Wikipedia
Le château de Montal dans le Lot

** Ces peintures, réalisées entre 1771 et 1772 pour le pavillon de musique de madame du Barry à Louveciennes, évoquent les quatre instants de l'amour. Refusé par la favorite royale (quoique largement indemnisé), cet ensemble décoratif unique fut retourné à l'artiste qui le conserva vingt ans et ajouta sept autres toiles à la série ; lorsqu'il s'établit en 1790 à Grasse, sa ville natale, il apporta avec lui, roulés, quatre panneaux illustrant les Progrès de l’Amour dans le cœur d’une jeune fille, commandés par la Du Barry pour la décoration du pavillon que lui avait offert Louis XV à Louveciennes.

Fragonard, l'amour amitié (collection Frick)

Les panneaux arriveront à Grasse en janvier 1790 et la tradition veut que Fragonard les ait accrochés lui-même dans le salon de son cousin. L’ensemble resta en place jusqu’en 1896, lorsque le petit-fils d’Alexandre Maubert, les vendit... non sans les avoir fait copier par un excellent peintre lyonnais, Auguste de La Brély. Les originaux, désormais connus sous le nom des Fragonard de Grasse, sont depuis 1915 exposés à la Frick Collection de New-York.
Source Bon Sens et Déraison

** Il s'agit du château de Jeurre qui appartint à monsieur de Saint-Léon (et non de Saint-Paul !!)
Le château fut acheté vers 1790 par le financier Louis-César-Alexandre Dufresne Saint-Léon (1752-1836). Celui-ci fut mis en accusation mais, acquitté, s'exila et échappa aux éventuelles conséquences dramatiques de la Terreur. Le domaine passa au comte Mollien, époux de la filleule du précédent. Entre 1806 et 1813 Mollien y fit construire, par les architectes Bénard et Bonnard, les communs et le pavillon de gardien dans un style piémontais, inspiré des campagnes d'Italie. Dans la seconde moitié du XIXème siècle le domaine revint dans la famille des Saint-Léon et y est resté depuis lors. Grand prix de Rome de sculpture, Alexandre-Henri de Saint-Léon eut le souci d'orner son parc, en particulier au moyen d'achat de monuments classiques offerts à la vente. Méréville étant dépecé, il acheta en 1895 la façade avant de la Laiterie, le Temple de la piété filiale, la Colonne rostrale et le Cénotaphe de Cook.


Il les fit démonter, transporter par charrette et les installa dans son parc, distant de 25 kilomètres. Les travaux durèrent quinze ans. M. de Saint-Léon acquit également une sphère armillaire de la fin du XVIIème siècle et le fronton de l'aile gauche du château de Saint-Cloud, bombardé par les défenseurs de Paris pendant le siège de 1870 pour en évincer les Prussiens, qui fut rasé par la suite, personne n'ayant voulu financer sa reconstruction. Le bâtiment du château de Jeurre est lui-même embelli par l'incorporation de sculptures classiques superbes et l'avant corps de logis du côté de la pièce d'eau provient de l'hôtel parisien d'Anglade en démolition (sculptures de Coysevox). Cette pratique plus que courante à l'époque, connue sous le nom d'elginisme quand l'acquéreur était étranger et y expédiait son acquisition (de lord Elgin, prédateur du Parthénon au profit du British Museum), aboutit à la promulgation des lois sur la protection des monuments historiques. Dans le cas de Jeurre nous devons à cette inspiration heureuse la joie de pouvoir admirer aujourd'hui les quatre fabriques de Méréville dans un cadre superbe.
Source Parcafabriques


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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963