samedi 28 février 2015

1er Carnet - 15 mai 1918

15 mai. – Sur la mort de Gordon Bennett*. 


Le propriétaire du New York Herald s’est éteint hier à Beaulieu. Son amour ardent pour la France venait de son mépris pour la rudesse américaine qu’il personnifiait. « Le journaliste français, me dit-il un jour, c’est un chien de chasse, l’Américain c’est un bouledogue. »

Pavillon de la lanterne à Versailles

Un hasard me fait visiter aujourd’hui le rendez-vous de chasse situé sur le territoire de Trianon et donnant sur son parc, que Gordon Bennett louait aux Domaines : « La Lanterne »**, vieux château Louis XVI, une miniature. Il y construisit une grande volière pour ses hiboux, l’oiseau qu’il aimait entre tous parce que le plus martyrisé. Le jardin est délaissé ; il est clos d’un grand mur. Dans un angle, sous des arbres géants : des tombes… des tombes minuscules. Au ras du sol, des plaques de marbre. Je me penche et je lis : Cher petit Toppy, mort le… – Beautiful little Ketty… – Pauvre petite Zata… – Poor old Billy… – Pauvre vieux Baby… 
Là, dorment les chiens de Gordon Bennett.***

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Notes de l'auteure du blog

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James Gordon Bennett junior né le (10 mai 1841 et mort le 14 mai 1918), est un homme de presse américain, passionné de sports, mécène, créateur de la coupe automobile Gordon Bennett et de la coupe aéronautique Gordon Bennett.
Né à New York, le fils et homonyme du riche éditeur du New York Herald, James Gordon Bennett senior, est instruit principalement en France, pays où il passe une bonne partie de sa vie. Fervent marin, Gordon Bennett sert dans la marine pendant la guerre civile américaine, puis, en 1866, gagne la première course transocéanique en bateau avant de reprendre les affaires du journal de son père l'année suivante.
Une fois responsable, il relève le journal. En 1877, quelques années après avoir repris le journal de son père, Gordon Bennett quitte New York après un scandale qui met fin à ses fiançailles avec Caroline May, membre de la haute société. Bennett est arrivé ivre et en retard à une fête au manoir new-yorkais de la famille May, et a uriné dans la cheminée du salon devant tous les invités.
S'établissant de manière permanente en France à Paris, il commence à éditer un journal de qualité, en anglais, qui existe toujours de nos jours sous le nom de International Herald Tribune. Il dirige la rédaction du journal de New York depuis Paris, ou à bord de son luxueux yacht de 100 mètres mètres de long.
L'enthousiasme de Bennett pour les sports l'amène à commanditer plusieurs événements dans l'air du temps, et fortement populaires...
Il a de très nombreuses femmes à sa disposition, les utilisant pour se divertir, et ne se mariant qu'à l'âge de soixante-treize ans, pour des raisons d'affaires, avec la baronne de Reuter, une fille de Paul Reuter, le fondateur de la célèbre agence Reuters. Gordon Bennett meurt le 14 mai 1918 à Beaulieu-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Il est inhumé au cimetière de Passy à Paris.

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Sous l’ancien régime 
Historiquement, « La Lanterne » est un ancien pavillon de chasse, situé à côté de la ménagerie (aujourd’hui disparue) et construit en 1787 par le prince de Poix, capitaine des Gardes du corps de Louis XVI, dans un recoin du parc du château de Versailles.
A la révolution 
À la Révolution, le pavillon de la Lanterne est aliéné, comme le reste des bâtiments du château de Versailles, avant d’être racheté par la Couronne en 1818.
Du XIXe à la cinquième République
À la fin du XIXe siècle, il est habité par le millionnaire américain James Gordon Bennett junior. Pendant la IVe République, le pavillon est loué à David K. E. Bruce, ambassadeur des États-Unis en France.
De 1959 à 2007 
Par décision de Charles de Gaulle en 1959, l’ancien pavillon de chasse devient la résidence de villégiature du Premier ministre en fonction. Le couple Malraux modernise l’intérieur du bâtiment central. Michel Rocard, Premier ministre de 1988 à 1991, fait procéder à une rénovation, à la construction d’une piscine et d’un court de tennis, la fille longtemps cachée du Président François Mitterrand, Mazarine Pingeot, y monte à cheval, Lionel Jospin vient s’y ressourcer en compagnie de son épouse avant que le Premier ministre Dominique de Villepin n’y découvre à son tour l’« une des plus belles caves de la République ».
Sous la présidence Sarkozy
Dès le lendemain de son élection à la présidence en 2012, Nicolas Sarkozy fait savoir qu’il veut prendre possession du lieu à la place de son Premier ministre, François Fillon. C’est là que le nouveau président de la République compose son gouvernement, qu’il reçoit Carla Bruni pour un premier week-end en amoureux et que la soirée du mariage s’est déroulée. En octobre 2008, une convention est signée entre l’Élysée et Matignon pour officialiser le transfert de la Lanterne au chef de l’État. En compensation, le domaine de Souzy-la-Briche, habituellement réservé au président de la République, est mis à la disposition du Premier ministre qui n’y séjourne en réalité jamais.
Sous la présidence Hollande 
C’est là, plutôt qu’au Fort de Brégançon que François Hollande a décidé de passer ses congés d’été. C’est encore là que sa compagne a séjourné récemment quelques jours après un séjour à l’hôpital.
Le domaine aujourd’hui 
Le domaine de quatre hectares est ceinturé par un haut mur d’enceinte et une longue allée bordée de peupliers. Son survol en avion est interdit. La propriété comprend :
- un bâtiment central d’un étage, essentiellement décorée par la compagne d’André Malraux au rez-de-chaussée figurent un grand salon, une salle à manger et un bureau, à l’étage, on trouve cinq chambres avec leurs salles de bain respectives, permettant d’accueillir les visiteurs,
- deux ailes plus basses que le corps central encadrant une cour gravillonnée, une de ces ailes abrite le logement du personnel et la cuisine, l’autre sert aux services de sécurité du bâtiment,
- un grand jardin avec piscine et tennis.
Source Andrelenotre

*** Et maintenant celui d'Edouard Balladur !

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

jeudi 26 février 2015

1er Carnet - 14 mai 1918

14 mai. – Chez le bibliophile Gallimard. 

Je pense qu'en 1918 Gimpel parle de Paul Gallimard, le père de Gaston (né en 1881 ce dernier n'avait alors que 37 ans et ne peut donc être qualifié de vieux général)... Paul lui, par contre est né en 1850 et affiche 68 ans. 
Paul Gallimard par Toulouse Lautrec

Ou plutôt chez l’actrice Diéterle, 68, boulevard Malesherbes. Gallimard* : type vieux général Napoléon III à barbiche. Une longue carotte en place de nez.

Les Fleurs du Mal illustrées par Rodin

Son plus beau livre, c’est Les Fleurs du mal illustré de vingt-sept dessins de Rodin**. Le miracle du sculpteur c’est d’avoir du vers de Baudelaire extrait et matérialisé son mâle et sa femelle. 
Gallimard me dit : « Je possède quinze cents des deux mille bois qui illustrent les principaux livres du XIXe siècle. Le lendemain de la mort des grands graveurs, je courais chez leur veuve ou voyais leur famille et j’achetais leur œuvre gravé. J’en ai fait des occasions ! » Ses yeux luisent. Quel livre à écrire sur la cruauté de l’amateur !

Ambroise Vollard

Pendant qu’il s’entretient avec moi, j’ai les yeux fixés sur un homme qui parle à Diéterle. C’est Vollard***, le plus riche des marchands de tableaux modernes. Il possède dix millions.


Hommage à Cézanne (1900) , Orsay , par Maurice Denis (1870-1943) , de gauche à droite : Redon / Vuillard / Mellerio / un homme qui tient le chevalet / VOLLARD / Sérusier / RansonN / Roussel / Bonnard / Marthe Denis.

L’origine de sa fortune date du jour où, dans l’atelier de Cézanne, il trouva l’artiste déprimé, et où il lui acheta environ deux cent cinquante toiles à une moyenne de cinquante francs pièce. Il en céda quelques-unes mais garda le plus grand nombre jusqu’au moment où il put les vendre entre dix et quinze mille francs pièce.

Illustration de Degas pour la Famille Cardinal de Halévy

— Savez-vous, Vollard, lui demande Gallimard, comment les experts présenteront, dans la prochaine vente Degas, les dessins qu’il fit pour illustrer La Famille Cardinal de Halévy**** ? 
— Ils les réuniront en un seul lot. Halévy n’a pas pu comprendre le talent de Degas, mais Mme Halévy, qui l’admirait, lui disait de préparer des dessins, et elle l’assurait qu’elle convaincrait son mari, mais elle échoua. Halévy choisit le lamentable Morin.

Portrait de Ludovic Halévy (1834-1908) pour la Famille Cardinal par Degas

Gallimard ajoute : 
— Moi, je suis allé trouver Degas et lui ai demandé le prix du lot Cardinal. Il m’a répondu : quinze mille. J’acceptai aussitôt, mais le soir il m’envoyait un mot : Il me faut quatre-vingt mille francs du lot Cardinal. 
Vollard s’écrie : 
— Les artistes sans talent ont seuls une parole.

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Notes de l'auteure du blog

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Son père de Gaston Gallimard, Paul Gallimard (1850-1929), est un rentier qui traduit les œuvres de John Keats pour Le Mercure de France et collectionne les livres rares, comme il le fait des tableaux impressionnistes. Il est ami avec Auguste Renoir. Il fréquente aussi les théâtres. Il a épousé Lucie Duché (1858-1942).

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Sur le site du Musée Rodin
CHARLES BAUDELAIRE (1821 -1867) LES FLEURS DU MAL Édition originale de 1857, illustrée par Rodin en 1887-1888 H. 18,7 cm ; L. 12 cm D.7174 Paris, Poulet-Malassis et de Broise. Cet exemplaire de l’édition originale de 1857 appartenait à l’éditeur et bibliophile Paul Gallimard. C’est grâce aux interventions de l’architecte et critique d’art Frantz Jourdain que Rodin reçoit la commande pour l’illustrer. La reliure en maroquin brun est réalisée par Henri Marius Michel. Sur le premier plat, un cuir incisé et mosaïqué représente en demi-relief une tête de mort de ton ivoire sur un pied de chardon vert foncé.
 En à peine quatre mois, à la fin de l’année 1887- début 1888, Rodin, dont on connaît l’attachement à la poésie et à Baudelaire, travaille sur ce projet, et ses dessins au trait ou ombrés, au fond hachuré et aux cinq lavis sur papier japon, chargés d’encre et de gouache qui furent insérés par la suite. Conçus pour l’occasion, ou antérieurs, comme ceux inspirés de Dante, ces dessins apparaissent en frontispice des poèmes ou envahissent parfois le texte.
Cet exemplaire unique a pu être acquis en 1931 par le musée Rodin, grâce à la participation de MM. David Weill et Maurice Fenaille.

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Ambroise Vollard est un marchand d'art, galeriste, éditeur et écrivain français né à Saint-Denis de La Réunion le 3 juillet 1866 et mort à Versailles le 22 juillet 1939. Il révéla Paul Cézanne, Paul Gauguin, Vincent van Gogh, Henri Matisse, Pablo Picasso1,2. Avant-gardiste en matière d'art moderne, il se lia d'amitié avec les plus grands peintres de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle. Passionné du Père Ubu d'Alfred Jarry, il était fasciné par la littérature.

Ambroise Vollard par Renoir

Fils de notaire, le jeune Ambroise quitte son île natale pour poursuivre des études à Montpellier, mais c'est à Paris qu'il fera finalement son droit. Il y développe une passion pour la peinture qui l'amène à ouvrir sa galerie d'art dès 1890. Il ouvre sa première galerie parisienne en 1893. Vollard expose par la suite de nombreux artistes majeurs comme Gauguin ou Matisse. Il en fréquente beaucoup d'autres, notamment Paul Cézanne ou Auguste Renoir, qui peindront son portrait, ainsi que les nabis. Il devient l'ami de Maurice de Vlaminck et contribue énormément à sa reconnaissance.
Vollard se lance dès 1889 dans l'édition et publie de nombreux poètes dans des recueils illustrés par autant de grands maîtres. C'est chez lui qu'a lieu en juin 1901 la première exposition de Pablo Picasso, jeune peintre espagnol récemment installé à Paris (et qui peindra également son portrait).
En 1914, la guerre l'oblige à fermer sa galerie parisienne. Par sécurité, il transfère ses tableaux dans la région de Saumur. Il ne rouvre qu'en 1919 après la fin des hostilités. Il meurt le 23 août 1929, dans un accident de voiture.
N'ayant pas pris le soin de faire un testament, son inestimable collection de plusieurs milliers d’œuvres est dispersée. Certains de ses tableaux se retrouvent dans les plus grands musées du monde ou dans des collections privées, d’autres se volatilisent à jamais
Source Wikipedia

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HALÉVY, Ludovic.- La Famille Cardinal. Illustré d'un portrait de l'auteur et de trente-trois monotypes en noir et en couleurs par Edgar Degas. Avant-propos de Marcel Guérin. Paris, Auguste Blaizot & fils, 1939 (1938 au colophon). Gr. in-4°. Relié par E. Maylander : plein maroquin bleu foncé, plats sertis de multiples filets dorés gras ou maigres et d'un listel de maroq. saumon, dos à nerfs et caissons ornés comme les plats, doublures de soie parme serties de cadres de maroq. bleu foncé ornés de filets dorés pleins ou pointillés, doublures de même soie, tranches dorées sur témoins, couv. et dos cons. Sous étui. 34 compositions en noir : portrait de l'auteur en noir en frontispice, 31 hors-texte dont 6 avec des couleurs lég. plus prononcées, 1 bandeau et 1 cul-de-lampe. En vue d'illustrer l'ouvrage, Degas montra ces monotypes à son ami Halévy mais ce dernier ne montra aucun enthousiasme. L'artiste rangea ses gravures qui furent mises en vente en 1928 et acquises par un groupe de bibliophiles qui céda le droit de reproduction à Blaizot. Le monotype étant un type de gravure tirée à une seule épreuve, c'est Potin qui fut chargé de reproduire au plus près les originaux. Tirage limité à 350 ex. sur vélin de rives filigrané au nom de l'éditeur, un des 325 mis dans le commerce (n° 300).
Source Icollectors

Ludovic Halévy, né à Paris le 1er janvier 1834 et mort à Paris le 7 mai 1908, est un auteur dramatique, librettiste d'opérettes et d'opéras, et romancier français.

Ludovic Halévy

Halévy créa les personnages de la famille Cardinal, symbole de la petite bourgeoisie parisienne pompeuse, pédante et méchante. Il est également l'auteur de deux romans, L'Abbé Constantin (1882) et Criquette (1883), qui furent de très grands succès de librairie à la fin du xixe siècle. En rupture avec la noirceur des romans naturalistes, ils dépeignaient un monde certes réaliste mais où tous les personnages sont bons et vertueux. Ce succès lui ouvrit les portes de l'Académie française, où il fut élu le 4 décembre 1884.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mardi 24 février 2015

1er Carnet - du 10 au 13 mai 1918

10 mai. – Art de guerre.

Vitrine d'une boulangerie protégée contre les bombardements au 12 rue Soufflot, Paris, France, 22 mars 1918 
Vitrines du Grand Bazar protégées contre les bombardements, Paris, France, 10 mai 1918

A la suite du bombardement, les journaux ont recommandé aux Parisiens de coller des bandes de papier sur les glaces des vitrines des magasins pour éviter qu’elles ne se brisent. Ma bonne ville ne fut jamais si belle. Spontanément, un art a surgi, l’art du ruban de papier. Il semble qu’il ne restera plus un dessin géométrique à inventer, certains sont merveilleux. Parfois, le simple boutiquier montre plus de goût que le grand orfèvre. Une heure a suffi pour créer un art ! Hélas ! en une minute, on le grattera . 

11 mai. – « L’Invocation à l’amour. » Sépia par Fragonard.

L'invocation à l'amour - 1781 - Fragonard - Cleveland Art Museum

Elle est trop blonde, sans détails, mais quelle passion ! Achetée quinze mille francs à Mme Veuve Debussy, l’ancienne femme de Sigismond Bardac.

12 mai. – Avec Cadou, à Hermé.


Village aussi mortel que les tranchées. Nous relisons ce journal. Prenons quelques notes, des phrases ou anecdotes à revoir ou à compléter. Il m’encourage à le continuer.

 13 mai. – Sur Bernstein*.


« C’est le Georges Ohnet du théâtre », me dit Berenson.

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Note de l'auteure de ce blog

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Pour Berstein voir le journal du 6 mai
Georges Ohnet, également connu sous le pseudonyme de Georges Hénot, né le 3 avril 1848 à Paris et mort le 5 mai 1918 à Paris, est un écrivain de romans populaires français. Il est le petit-fils du docteur Esprit Blanche.


Fils de l'architecte Léon Ohnet, et petit-fils du docteur Blanche1, Georges Ohnet débuta dans le journalisme, notamment au Pays et au Constitutionnel. Ses premières œuvres littéraires sont des pièces de théâtre : Regina Carpi (avec Louis Denayrouze, 1875), puis Marthe (1877). Ces deux pièces n'eurent pas de réel succès. Il publia ensuite de nombreux romans. Il fut entre autres l'auteur de la série intitulée Les Batailles de la vie dont les titres les plus connus sont Serge Panine, Le Maître de forges, La Grande Marnière, La Comtesse Sarah. Il connut un très grand succès et les tirages de ses romans furent extrêmement importants. Plusieurs de ses romans furent adaptés au théâtre.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

dimanche 22 février 2015

1er Carnet - 7 et 8 mai 1918

7 mai. – Vente Degas. 

La Famille Bellelli de Degas - Musée d'Orsay

La première vacation a rapporté deux millions. Toutes les prévisions sont dépassées. Le Louvre a acheté à l’amiable le tableau de famille (n° 4) quatre cent mille francs*. C’est un des beaux tableaux du monde. Que n’a-t-il peint plus de portraits ! 

8 mai. – Occasions. 

Je n'ai pas réussi à trouver de photo de Georges Petit. Juste cette gravure de l'Illustration du 9 décembre 1905 intitulée : La vente de la collection Cronier** à la Galerie Georges Petit
On peut imaginer, d'après la description qu'en donne Gimpel, que Georges Petit ets l'homme debout à gauche, bien enveloppé. L'événement se situe 13 ans avant le journal de Gimpel, il a eu le temps de devenir obèse entre temps !!

Georges Petit***, qui a une figure de matou musqué, obèse et hydrocéphale, me dit : « Il y a quinze ou vingt ans, je suis entré chez tous les commerçants de Fontainebleau pour chercher les tableaux que Corot avait pu leur donner en paiement. Les deux plus beaux, je les ai trouvés chez une fruitière qu’il n’avait pas réglée pendant trois ans et à laquelle il avait dû quatre cents francs. Je les ai achetés douze mille et vendus cinquante. Ils vaudraient aujourd’hui deux cent mille francs pièce. »

Dessin de Helleu sur la première de son catalogue de la Vente Degas

Vente Degas. 

Elle intéresse le gros public. Il y avait, dimanche, six mille personnes à l’exposition. Elle se termine sur un total de six millions.

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Notes de l'auteure du blog

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Entre 22 et 26 ans, Edgar Degas achève sa formation en Italie, où réside une partie de sa famille. Il représente ici sa tante paternelle, Laure, avec son époux, le baron Bellelli (1812-1864) et ses deux filles, Giula et Giovanna. Le baron est un patriote italien, chassé de Naples, qui vit en exil à Florence. La baronne porte le deuil de son père, Hilaire, récemment décédé, dont le portrait est représenté sur la sanguine encadrée, juste à côté du visage de sa fille. En 1860, les deux petites filles, Giovanna et Giula, ont 7 et 10 ans. La mère est impressionnante de dignité et affirme une autorité un peu sévère, qui tranche avec l'effacement relatif du père. Ce tableau de famille évoque ceux des maîtres flamands, de van Dyck en particulier. Chef d'oeuvre des années de jeunesse de Degas, ce portrait évoque les tensions familiales qui murent chacun des personnages dans leur solitude. Le format imposant, les couleurs sobres, les jeux structurés de perspectives ouvertes (portes et miroirs), tout concourt à renforcer un climat de malaise. D'autant que des suggestions de fuite apparaissent, comme ce curieux petit chien coupé hors-cadre. Seule la position presque ludique de la fille cadette, croisant une jambe sous ses jupes, contraste avec la pesanteur de l'atmosphère tandis que sa soeur aînée semble déjà prisonnière des conventions des adultes.

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Rue de Sèze. La grande cohue. Quelque chose comme une émeute silencieuse,--autour d'une porte; la prise d'assaut d'on ne sait quoi par une foule très élégante qui, des deux rues voisines, afflue, se serre en interminables files au long des trottoirs, guette fiévreusement son tour d'entrer... C'est le grand spectacle de la semaine,--autrement sensationnel qu'une «première» aux théâtres du boulevard; un spectacle où ce n'est pas de l'émotion inventée et truquée, de la littérature qu'on nous sert, mais de la douleur «pour de bon», le dénouement du drame vécu dont un homme est mort. La vente Cronier! Tout Paris a voulu voir cela et, depuis cinq jours, la salle Georges Petit est une étuve. On s'écrase, on joue des coudes pour arriver jusqu'aux cimaises:
--Avez-vous vu le Gainsborough?
--Et cette Flore, ma chère! c'est le chef-d'oeuvre de Carpeaux.
--Moi, ce sont les tapisseries que je voudrais m'offrir. Ces cartons de Boucher! c'est le triomphe de Beauvais.
--Et le Watteau! Et les Fragonard!
--Il y a un Perronneau délicieux.
--Oui, mais Chardin!


--Et les La Tour, donc!...

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Georges Petit, né à Paris le 11 mars 1856 et mort le 12 mai 1920, est un galeriste et marchand d'art français, l'une des figures clés du marché de l'art de son époque à Paris. Il fut, avec son grand rival Durand-Ruel, et dans une moindre mesure Louis Adolphe Beugniet, l'un des principaux promoteurs des peintres impressionnistes. Son père, François Petit, fonda en 1846, au 7, rue Saint-Georges à Paris, la galerie François Petit. Georges Petit ouvre sa propre galerie en 1881 au 12, rue Godot-de-Mauroy à Paris et devient au fil des ans l'un des plus puissants acteurs du marché français de l'art. Il expose d'abord aussi bien des artistes académiques, appréciés par une clientèle bourgeoise fortunée1, que des artistes aux conceptions d'avant-garde. Ainsi, la galerie devient au fil des ans un lieu privilégié alternatif à l'exposition au Salon des artistes français; elle prendra ultérieurement pour adresse le 8, rue de Sèze à Paris. Georges Petit expose Claude Monet à partir de 1885 et Alfred Sisley vers 1886.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

vendredi 20 février 2015

1er Carnet - 5 et 6 mai 1918

5 mai. – Lits à trois. 


Avec son second mari Rigo Jancsi.

Cadou m’écrit : « On vient de vendre à l’hôtel Drouot, me dites-vous, un horrible lit de trois mètres de large, bariolé d’amours et ayant appartenu à la princesse de Chimay* enlevée par le tzigane Rigo. J’ai passé mes treize premières années tout près de Chimay, où la conduite de la princesse était citée par les gens du pays avec ce mélange d’air scandalisé et de contentement à cause de l’orgueil local, songez donc, une princesse ! » 

Le lit de trois mètres de large me rappelle une histoire pouffante. Ma belle-mère a habité Garches ; elle faisait travailler un ébéniste qui lui avait raconté que Zola lui avait commandé, autrefois, un lit à trois. Rien ne peut rendre l’expression de scandale étonné de ma belle-mère. « Oh ! pensez-vous ! un lit à trois, ce vieux dégoûtant ! un lit à trois ! » Ma femme et moi en étions malades. 

 6 mai. – Vente Degas. 


Celle des propres œuvres de l’artiste. Elle commence chez Georges Petit. À aucune vente l’affluence ne fut si nombreuse. 

Portrait d'Henry Bernstein par Renoir


Un mot de Renoir. 
Georges Bernheim l’a entendu de la bouche de l’artiste et me le cite. Renoir avait peint le portrait de Bernstein**, l’auteur dramatique, qui ne lui fut pas payé ; alors le peintre : « Il aurait au moins pu me régler avec un bouquet de violettes. »


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Notes de l'auteure du blog

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CLARA WARD DE RIQUET (1873-1916), princesse de Caraman-Chimay (née Clara Ward).

C’était une riche américaine qui a épousé le 19 mai 1890 (1) Marie Joseph Anatole Pierre Alphonse de Riquet (1858-1937), 19ème prince de Caraman-Chimay. Elle s’est enfuie avec un violoniste gitan (2) Rigó Jancsi, ce qui a causé son divorce. Elle et le prince ont divorcé le 18 janvier 1897. Elle s’est remariée peu de temps après avec Rigo Jancsi et divorça ensuite, car il lui a été infidèle. Elle a rencontré ensuite (3) Peppino Ricciardo dans un train et l’épousa en 1904, mais ça n’a pas duré longtemps. Ensuite elle rencontra son quatrième mari le (4) Signore Cassalota un directeur de station de chemin de fer avec qui elle resta mariée jusqu’à sa mort en 1916. L’histoire de Clara Ward, qui a souvent été appelée « princesse de Caraman-Chimay », est mal connue aujourd’hui, mais voilà plusieurs années, au début des années 1890, elle était la coqueluche des États-Unis. À la fin des années 1890 et les années Édouadiennes, elle a passé beaucoup de temps dans la société et faisait partie des potins des deux continents. Elle a été largement connue enviée et admirée, désirée, détestée et méprisée. Son père versa 2.5 millions de dot pour se marier avec le prince. (Source les chroniques de Loulou)

La princesse de Chimay avec  le prince Joseph de Caraman-Chimay (1858-1937) son premier mari.

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Henri Bernstein ou Henry Bernstein (Henry Léon Gustave Charles Bernstein), né le 20 juin 1876 et mort le 27 novembre 1953, est un dramaturge français du théâtre de boulevard. Il devint célèbre en 1906 grâce au succès de son drame bourgeois Le Voleur. Avant la Seconde Guerre mondiale il connut un regain de célébrité grâce à un duel contre Édouard Bourdet, son rival dans le même genre théâtral. En 1911, il donne à la Comédie-Française la pièce controversée Après moi, dénoncée comme une œuvre « juive » et qui plus est d'un « juif déserteur », par ses détracteurs qui jugeaient qu'elle ne devait pas avoir sa place au théâtre. Cette représentation lui vaudra ainsi des manifestations tant antisémites que nationalistes comme celle organisée par Léon Daudet de l'Action française qui s'insurge moins contre la pièce que contre son auteur, à la fois en raison de ses origines juives et de son passé de déserteur (il avait en effet déserté durant son service militaire). Par la suite, Bernstein fut directeur du théâtre du Gymnase à Paris de 1926 à 1939 et y créa plusieurs de ses œuvres. Les représentations de la pièce sont interrompues par l'entrée en guerre de la France. Durant la Seconde Guerre mondiale, il s'était exilé aux États-Unis. Il écrivit Portrait d'un défaitiste, un portrait implacable de Pétain qui connut un grand écho dans la presse américaine.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mercredi 18 février 2015

1er Carnet - 24 avril au 2 mai 1918

24 avril. – Renoir malade.

Renoir en 1910

Il a passé une horrible nuit. S’est tordu sur son lit. Ses rhumatismes articulaires l’ont mis dans un état lamentable. Un pouce du pied s’émiette. On va le couper . Ma femme allait poser. Il faut renoncer au portrait. Les jours du peintre sont comptés. 

25 avril - En gare de Nice 
Source Gallica

Des chants, la classe 19 dégringole des troisièmes, c'est le contingent pour Nice. Des types râblés. Diable, quels diables bleus ça va faire !


Encore des chants, voici des soldats italiens avec un gros convoi automobile ; c'est le premier contingent pour le front français. Hommes et choses sont déjà camouflées par les années de guerre, et sont comme les bêtes qui prennent la couleur de la terre où elles vivent. Les italiens sont couleur de guerre. De braves petites fleurs ornent les autos, elles sont meurtries, violées par le voyage.

26 avril – Monte Carlo

On sent la guerre ici. Pas de soldats.

27 avril - Monte Carlo s'humanise

Des salades et des pommes de terre sur le terrain de tir aux pigeons !

1er mai - Muguet

Trois tiges, trois francs, mais le Premier Mai dernier le muguet était introuvable. C'est alors qu'on apprit que la petite fleur blanche de France venait d'Allemagne.

2 mai. – Les salons



Ils sont réunis au Petit Palais, et n’en forment qu’un. Ils n’avaient pas été ouverts depuis 1914.


Barthou académicien. 
C’était son rêve, il préparait depuis quatre ans son élection, et pour y parvenir il prétendait se désintéresser de la politique à laquelle il va vite retourner. Il a une belle bibliothèque. Il aime Hugo, Lamartine, méprise Verlaine. Je lui ai acheté deux manuscrits de Samain Yalis ou le petit Faune aux yeux bleus et Au Jardin de L'Infante, celui-ci pour dix mille francs.


Egalement quelques lettres que le poète a adressées à un sien ami, un Boche. Elles montrent le rêveur impuissant devant la vie ! Barthou, oh ! quel bon vendeur ; il m’a aussi cédé des carnets de notes de Victor Hugo !


Source Paris en Images

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

lundi 16 février 2015

1er Carnet - 23 avril 1918

23 avril. – Chez Renoir. A Nice. 


Le Concert - Musée de l'Ontario
La toile représente le modèle dont parle Gimpel, Andrée Madeleine Heuschling. Elle est de 1918-1919

Dans ce petit appartement, il peint tantôt dans sa salle à manger, tantôt dans son salon, comme à Cagnes où chaque pièce de sa maison est un atelier. Aujourd’hui, sa fidèle servante et garde-malade, Mme Petit, m’introduit dans son salon. Il a un modèle. C’est une belle fille grasse de vingt ans, un peu courte, avec des cheveux dorés, de larges yeux bleus, une peau fine, un sang pur qui afflue au visage ; une fille des champs par la santé, et déjà de la ville par un souffle de poudre de riz et un costume tailleur*.

Auguste Renoir - Blonde à la rose, il s'agit encore d'Andrée Heuschling, peinte en 1915

Photo d'Andrée Heuschling en 1925, quand elle était devenue actrice de cinéma

Je regarde le tout petit tableau que j’ai déjà vu dernièrement et où Renoir a assis cette femme dans un paysage. L’autre jour, il avait, comme dans une bulle de savon, accroché les mille couleurs du soleil dans une manche tombante de tulle transparent. Aujourd’hui, c’est une bouillie, une panade, mais il s’en rend compte et il me dit : « Vingt-sept fois que je fais poser cette femme(1), je ne m’y retrouve plus, mon tableau était beaucoup mieux l’autre semaine, j’aurais dû le laisser. Que pensez-vous de ces fleurs que j’ai faites hier et que je n’ai pas encore terminées ?
— Je les trouve magnifiques et je n’y toucherais plus. Quand je les regarde, elles me rappellent une phrase que j’ai lue dans un livre d’astronomie : « Le soleil lance des flammes longues de milliers de kilomètres. » Ces fleurs lancent aussi des flammes immenses, elles flamboient. Me les vendriez-vous  ?
— Oui.
— Combien ?
— Trois mille.
— C’est beaucoup.
— Je le sais, mais ce sont mes fleurs qui se vendent le plus cher. Je ne peux pas vendre bon marché à cause des marchands, je ne veux pas les gêner dans leur commerce. J’ai, par exemple, une vieille dette de reconnaissance envers Durand-Ruel, car lui seul m’a aidé à manger quand j’avais faim.

Femme au chapeau de Renoir

— Je prends vos fleurs. Vendez-moi aussi ce portrait de femme au chapeau, votre modèle. Dix mille, dites-vous. C’est entendu. Et cette femme dans une clairière. Cinq mille, ajoutons-la. Et si jamais vous consentiez à vendre ces lavandières(2), laissez-le-moi savoir.

Lavandières de 1912 - Collection privée

J’adore ces oliviers au bord de ce ruisseau. Quand je vous quitte et que je retourne à Cannes, je regarde la nature et je pense à vos tableaux. Vous m’avez montré combien chaque arbre tient au sol de façon différente. J’admire avec quelle vérité vous faites sortir de terre l’olivier dont le tronc entouré d’un curieux monticule s’élève avec tant d’ampleur. »


Renoir me répond :
— L’olivier, quel cochon ! Si vous saviez ce qu’il m’a embêté. Un arbre plein de couleurs. Pas gris du tout. Ses petites feuilles, ce qu’elles m’ont fait suer ! Un coup de vent, mon arbre change de tonalité. La couleur, elle n’est pas sur ses feuilles, mais dans les espaces vides. La nature, je ne peux pas la peindre, je le sais, mais le corps à corps avec elle m’amuse.


Un peintre ne peut pas être grand s’il ne connaît pas le paysage. Paysagiste, dans le temps, un terme de mépris, surtout au XVIIIe. Et pourtant, ce siècle que j’adore en a produit des paysagistes ! Je suis un du XVIIIe. Je considère avec modestie que mon art descend non seulement d’un peintre Watteau, d’un Fragonard et d’un Hubert Robert, mais encore que je suis un des leurs. Watteau, quel génie ! Avoir si jeune possédé la science complète ! Watteau, Raphaël, géants partis à la fleur de l’âge. Je vous assure qu’ils savaient qu’ils mourraient. Leur intelligence a doublé les étapes.

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Note de l'éditeur du Journal d'un collectionneur

(1) 
Le fils de Renoir, l’acteur, l’a épousée après la mort de son père. (Note de 1922.)

(2)
Renoir m’aurait vendu ce tableau dans les dix mille francs. Je l’ai retrouvé cette année pour huit cent mille francs papier chez Barbazanges ou cent soixante mille francs or. (Note de 1927.)

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Note de l'auteure du blog

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Il s'agit d'Andrée Madeleine Heuschling, née le 22 juin 1900 à Moronvilliers, village de la Marne aujourd'hui fusionné avec celui de Pontfaverger, morte le 28 septembre 1979 à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines). Elle fut l'un des derniers modèles du peintre Pierre-Auguste Renoir et la première épouse de son fils, le réalisateur Jean Renoir.
Andrée Heuschling, réfugiée à Nice pendant la guerre, dotée d'une beauté incomparable, «dernier cadeau de ma mère à mon père», fut envoyée à Auguste Renoir « par des amis de Nice », selon Jean Renoir, en fait par Henri Matisse qui trouvait qu'elle « ressemblait à un Renoir ».
Elle figure dans plusieurs toiles du peintre, magnifiquement offerte dans Les Baigneuses du Musée d'Orsay, ou encore de dos dans Le Concert du Musée des beaux-arts de l'Ontario. C'est pour elle que le cinéaste abandonna la céramique et débuta dans le cinéma. Il en fit l'héroïne de ses cinq premiers films muets. Elle prit alors pour nom d'artiste Catherine Hessling.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

samedi 14 février 2015

1er Carnet - 14 au 17 avril 1918

14 avril. – Saint-Saëns. 

Saint Saens en 1916

Saint-Saëns allait au casino accompagner au piano Chenal* qui devait y chanter pour le bénéfice des aveugles, et, comme toujours, elle s’est fait excuser. 

Marthe Chenal 

Saint-Saëns, très soigné, paraît en redingote, trop immaculée, avec un bouton rouge trop fleuri, puant l’institut et le professeur de piano à vingt francs la demi-heure. Il gagne son piano à petits pas et a joué de même ; il accompagne une remplaçante qui chante avec une voix d’acier et il n’en montre aucune impatience. Il s’en va comme il est venu. 

17 avril. – Musique. 

André Cadou

Cadou** m’écrit : « J’ai fait travailler autrefois la musique à une jeune fille du monde bourgeois ; éducation sévère, très chaste, très pieuse, toujours environnée de famille, etc. Elle avait poussé loin ses études musicales, connaissait l’harmonie, le contrepoint, pouvait analyser les auteurs mieux que beaucoup d’hommes de métier ; avec cela très bonne pianiste. Cette jeune fille me dit un jour, et le plus ingénument du monde : « Schumann est l’auteur que je préfère de tous. Quand je « vais en entendre, je change de linge et mets des dessous de dentelle. » 

18 avril. – « Toi et moi. » 

J’étais dernièrement malade à la chambre. Mlle Marie Brisson, qui relie mes livres, était venue m’en apporter. Ma femme, rentrant de courses et ouvrant la porte, fut stupéfaite de l’entendre dire : « Toi et moi ». C’est ainsi qu’elle apprit le titre du livre de Paul Géraldy. L’auteur et son livre avaient alors passé inaperçus, mais à la suite du succès de C’est la guerre, madame, écrit en 1915, on se mit à rechercher ses premières œuvres et l’on découvrit Toi et moi en vers parlés, à la phrase insouciante. L’auteur nous y fait sentir cruellement la banalité quotidienne, l’atroce réalité. Mais il faudra toujours lire C’est la guerre, madame quand on voudra comprendre ce mélange de paix et de guerre qu’est l’état de guerre. Héroïsme et five o’clock tea.



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Note de l'auteure du blog
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Marthe Chenal (1881- Janvier 1947) était un soprano qui a fit carrière  entre 1905 et 1923. Sa carrière a été principalement axée sur le Palais Garnier et l' Opéra-Comique à Paris. Elle a particulièrement excellé dans les œuvres de Jules Massenet.

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André Cadou est né à Fourmies dans le Nord le 23 mai 1885. Attiré par le monde instrumental, le futur grand chef d'orchestre sera lauréat du conservatoire nationale supérieur de la musique, ce qui le fera admettre, en 1917, au coeur de la première guerre mondiale, à la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (Sacem). En 1928, André Cadou se voit confier la direction orchestrale au sein de la firme Odéon pour l'accompagnement des vedettes de la chanson. Il dirige ainsi les plus grands interprètes que connaîtra la chanson : Perchicot, Berthe Sylva, Tramel, Biscot, Bach, Bérard, Boucot, Charlus, Constantin le rieur, Damia, Darcelys, Davia, Jean Lumière, Edgard Detrait, Dorville, Dranem, Georgius, Yvonne Guillet, Emma Liébel etc.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

jeudi 12 février 2015

1er Carnet - 13 avril 1918

13 avril. – Chez Renoir. 


Renoir - Pierrot

A Nice, dans son appartement, rue Palermo. Son pied ne va pas bien et on a eu peur de la gangrène. On a transporté le peintre ici et il va mieux. Son fils, acteur inconnu(1) , blessé de guerre au bras droit, est accouru et a rapporté de Paris quelques toiles roulées afin de les sauver du danger du bombardement : une Femme nue (1910) dont les tons ont déjà un peu noirci, presque grandeur nature, en long. Un Pierrot assis avec une collerette rouge (toile de 50). Une femme, son modèle actuel, le coude gauche levé, une rose jaune à la main (toile de 90). Le portrait de Dussane*, de la Comédie-Française, chez elle. Elle est assise et a l’air d’une sultane. La toile a déjà un peu noirci (1916).

Béatrix Dussane en 1910

Je ne sais s'il s'agit du portrait de Dussane : il est daté de 1916 (il y en a assez peu qui soient répertoriées de cette année-là) et est actuellement en France, au musée Picasso. Le modèle a les traits épais de l'actrice en 1920, et elle est assise. A-t-elle l'air d'une sultane ??


Béatrix Dussane en 1920

Il m’apprend qu’il l’a donnée au Luxembourg. Renoir me dit qu’il peint couleur brique pour que, plus tard, ses couleurs deviennent d’un rose laiteux. Quand il ne pensait pas à la décomposition des couleurs, ses tableaux ne bougeaient pas. Il faudra bien des années pour savoir si, à la fin de sa vie, Renoir a eu raison. Ce serait désastreux pour l’avenir de la peinture d’avoir à peindre un ton pour en obtenir un autre.

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Note de l'éditeur du journal d'un collectionneur
(1) 
Est devenu un bon acteur (Note de 1929).
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Note de l'auteure du blog
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Béatrice Dussan, dite Béatrix Dussane, née le 9 mars 1888 à Paris où elle est morte le 3 mars 1969, est une actrice française. Entrée à la Comédie-Française en 1903, elle en devient la 363e sociétaire en 1922.
Passionnée par le théâtre, Béatrix Dussane est reçue au Conservatoire d’art dramatique où elle suit les cours le mercredi et le samedi matin. Née Dussan, elle ajoute un « e » à son patronyme pour imiter la grande comédienne de l'époque Réjane (pseudonyme de Gabrielle Réju). Un premier prix de comédie classique couronne ses efforts le 22 juillet 1903. Elle est engagée aussitôt comme pensionnaire. Nommée sociétaire en 1922, elle siège au conseil d’administration de 1935 à 1942. Professeur au Conservatoire d'Art dramatique de Paris, elle aura comme élèves Sophie Desmarets, Robert Hirsch, Michel Bouquet, Maria Casarès, Serge Reggiani, Daniel Gélin, Gérard Oury, Michel Le Royer et bien d’autres. Dès les années 1920, elle donne des conférences, collabore à différentes revues et publie plusieurs ouvrages sur le théâtre. À partir de 1951, elle tient une chronique dans Le Mercure de France. Vers la fin de sa carrière, elle produit des émissions radiophoniques et télévisées consacrées à l'histoire du théâtre.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963