vendredi 7 août 2015

4ème Carnet - 23 janvier 1919

23 janvier. – Chez Hœntschel (1).
Je parcours, ce matin, son hôtel avec Paulme, l’expert. Hœntschel est mort au début de la guerre. C’est lui qui a décoré pour Doucet mon hôtel, rue Spontini. Ce fut vraiment le seul décorateur des vingt-cinq dernières années. Il avait formé deux collections, une d’émaux, l’autre d’art décoratif du xvme et il les avait vendues très cher à J.P. Morgan qui a donné le xvme au Metropolitan Muséum de New York. Cet intérieur est un mélange de confort anglais et d’élégance pari-sienne avec une salle immense, organisé en vue de sa profession. Sa vente aura lieu dans deux mois, quand je serai à New York, et j’ai voulu voir si quelque chose pouvait m’intéresser. Ce n’est plus qu’une petite collection d’art décoratif, mais comme c’est triste une collection sans collectionneur ! Paulme, dans ces grandes pièces aujourd’hui désolées, me fait l’effet d’un croque-mort, le croque-mort des objets d’art ; le bruit de ses pas ne le trouble pas et ils résonnent fortement sur ce plancher mortuaire. Hœntschel était le joli Français, genre « Bel Ami », blond, le front découvert, plein d’élégance, un peu militaire, le regard clair. Hœntschel, il ne reste plus rien ici de son âme, et il méritait mieux !

Jacques Doucet, mécène (2).

« Comment vont les livres ? » me demande-t-il. Il ne me donne pas le temps de répondre et continue : « J’ai tous les manuscrits de Suarès ; je pousse les jeunes, il leur manque toujours cent francs par mois. J’ai dit à ceux auxquels je croyais du talent : « Vous les aurez vos cent francs, apportez-moi ce que vous voudrez. » C’est régulier, ils ont mangé leur année au bout de quatre mois et quand ils ont de l’argent ils ne travaillent plus, puis, comme ils ont envers moi une dette de reconnaissance, ils m’en veulent. Mon pète, un jour, au Cercle, prête quelque argent à un décavé et deux ans plus tard apprend que cet individu a de l’argent et lui en réclame. L’autre lui répond : « Vous ne pensez donc qu’à ça ? » J’ai fait un arrangement avec un auteur de talent qui m’a dit : « On ne peut travailler pour le public. » Je lui ai répondu : « Travaillez pour moi. » Il fut entendu qu’il ferait, pour une grande dame anglaise et pour moi, une œuvre qui serait tirée à trois exemplaires car, en effet, un artiste ne peut pas travailler pour le grand public. — Et Molière, monsieur Doucet ? » 

« Un prêtre marié » et « Les Frères Zemgano » (3).

J’achète ces deux manuscrits chez Blaizot pour dix mille cinq cents francs. Le dernier revient à mille francs.

Sur Reynaldo Hahn (4). 


Armand lui est vaguement parent. Ils étaient ensemble au 31e. Hahn lui a raconté qu’il a composé son Ave Maria aux Folies-Bergère pendant les flonflons des orchestres et dans le bruit et l’animation du promenoir. Il a même ajouté que c’était le seul endroit où il se trouvait inspiré pour composer de la musique religieuse.


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Notes de l'auteure du blog

(1) Georges Hoentschel (1855-1915), Officier de la Légion d'honneur, est un architecte, décorateur, céramiste et collectionneur français. Il réalise le pavillon des Arts décoratifs de l'exposition universelle de 1900 à Paris, ainsi que celle aux États-Unis à Saint Louis (Missouri) en 1904. Il est très connu en tant que collectionneur aux États-Unis car il céda à son ami John Pierpont Morgan la majeure partie de ses collections qui ornaient les galeries de son hôtel particulier du boulevard Flandrin. Aujourd'hui, ces 1 882 pièces constituent le fonds des collections des départements du xviiie siècle français et médiéval au Metropolitan Museum of Art de New-York. Il fut l'ami de Marcel Proust, Giovanni Boldini, Paul-César Helleu, Pierre Georges Jeanniot, Georges Feydeau, Willette, Léopold Stevens, Robert de Montesquiou, Jean Carriès, Ferdinand Roybet, Maurice Lobre, Adrien Karbowsky, Adolphe Léon Willette, Victor Hugo, Georges de Porto-Riche, Degas, Jean-Louis Forain, Adolphe Giraldon et de bien d'autres personnalités. Son travail est visible au musée des arts décoratifs de Paris « Le salon des bois 1900 ». Il a fait un important legs de céramiques au musée du petit Palais de Paris, puisqu'il sauva l'atelier à Saint-Amand-en-Puisaye (Nièvre) de son grand ami Jean Carriès en le rachetant peu avant la mort de ce dernier. Il avait un goût très prononcé pour les impressionnistes, il avait acquis entre autres la Débâcle par temps gris de Monet, la Pomme sur une assiette d'Édouard Manet, l'Enfant à l'épée de Manet, la Rue Mosnier aux Paveurs ou Rue de Berne de Manet, L'Incendie de Turner et beaucoup d'autres de James Abott Whistler, Willette, Camille Pissarro, Sisley. Hoentschel était réputé pour son don très particulier de flairer, de dépister l'objet vraiment beau, de le découvrir au milieu de cent autres, d'aspect analogue pour le profane.
Source Wikipedia

(2) Jacques Doucet, né à Paris le 19 février 1853 et mort à Paris le 30 octobre 1929, est un grand couturier, collectionneur et mécène français, personnalité de la vie artistique et littéraire parisienne des années 1880-1920.
Propriétaire d’un magasin hérité de sa mère, rue de la Paix, Jacques Doucet fonde à Paris une des premières maisons de haute couture. Sa riche clientèle d’actrices et de femmes du monde — Réjane, Sarah Bernhardt, Liane de Pougy, la Belle Otéro — lui assure une fortune et lui permet de satisfaire ses passions d’amateur d’art et de bibliophile. Il forma Paul Poiret (1898-1901). En 1925, le financier Georges Aubert prend le contrôle de la maison Doucet et provoque un rapprochement avec la maison de Georges Dœuillet. Après la crise de 1929, la nouvelle société Dœuillet-Doucet perdure jusqu'en 1937. Le collectionneur et mécène Après avoir réuni des objets d’art du xviiie siècle — tableaux, dessins, sculptures, œuvres d’ébénisterie et de marqueterie —, il s’intéresse aux livres de cette même époque. En 1912, il vend cette première collection pour acquérir des toiles de Manet, Cézanne, Degas, van Gogh, Bakst, Arthur Jacquin. Mais Doucet a des visées plus vastes. Dès 1909, il finance des « cellules de recherche » sur l'histoire de l'art dans son exhaustivité. Il commande de véritables programmes de recherche, s'entourant d'éminents spécialistes. Il s'intéresse à tout et achète sans compter. Il est même l'un des premiers à comprendre la valeur des manuscrits. Constatant la pénurie documentaire dont souffre l'histoire de l'art, il constitue, avec l'aide de son premier bibliothécaire René-Jean puis de nombreux spécialistes, une bibliothèque couvrant l'art de tous les temps et de tous les pays. Il tient en outre à acquérir les sources elles-mêmes, nécessaires à tout historien d'art. En 1917, il offre sa bibliothèque à l'Université de Paris : elle deviendra la Bibliothèque d'art et d'archéologie Jacques Doucet, puis, en 2003, la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art - collections Jacques Doucet. Ami d'André Suarès, il collectionne ses manuscrits, s’intéresse à ceux de la génération précédente — Stendhal, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud — et de la génération contemporaine : Apollinaire, Gide, Cocteau, Mauriac, Montherlant, Maurois, Morand, Valéry, Proust, Giraudoux. Il fait recouvrir ces manuscrits de reliures modernes avant de donner cette bibliothèque littéraire à l’Université de Paris, en 1929 : elle deviendra la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. Doucet eut également un rôle de mécène auprès de nombreux écrivains tels que André Suarès, Max Jacob, Reverdy, André Breton, Louis Aragon. En 1924, il est le premier propriétaire des Demoiselles d'Avignon de Picasso : achetées sans avoir été déroulées parce qu'elles traînaient dans un coin de l'atelier du peintre, elles seront estimées quelques mois plus tard entre deux et trois cent mille francs1. Le musée Angladon à Avignon, créé par ses héritiers, abrite une partie importante de son ancienne collection.

(3)Jules Amédée Barbey d’Aurevilly est un écrivain français, né le 2 novembre 1808 à Saint-Sauveur-le-Vicomte, en Normandie, mort le 23 avril 1889 à Paris. Surnommé le « Connétable des lettres », il a contribué à animer la vie littéraire française de la seconde moitié du xixe siècle. Il a été à la fois romancier, nouvelliste, essayiste, poète, critique littéraire, journaliste, dandy, et polémiste.
Né au sein d’une ancienne famille normande, Jules Barbey d’Aurevilly baigne dès son plus jeune âge dans les idées catholiques, monarchistes et contre-révolutionnaires. Un moment républicain et démocrate, Barbey finit, sous l’influence de Joseph de Maistre, par adhérer à un monarchisme intransigeant, méprisant les évolutions et les valeurs d’un siècle bourgeois. Il revient au catholicisme vers 1846 et se fait le défenseur acharné de l’ultramontanisme et de l’absolutisme, tout en menant une vie élégante et désordonnée de dandy. Il théorise d'ailleurs, avant Baudelaire, cette attitude de vie dans son essai sur le dandysme et George Brummell. Ses choix idéologiques nourriront une œuvre littéraire, d’une grande originalité, fortement marquée par la foi catholique et le péché.
À côté de ses textes de polémiste, qui se caractérisent par une critique de la modernité, du positivisme ou des hypocrisies du parti catholique, on retient surtout, même s'ils ont eu une diffusion assez limitée, ses romans et nouvelles, mélangeant des éléments du romantisme, du fantastique (ou du surnaturalisme), du réalisme historique et du symbolisme décadent. Son œuvre dépeint les ravages de la passion charnelle (Une vieille maîtresse, 1851), filiale (Un prêtre marié, 1865 ; Une histoire sans nom, 1882), politique (Le Chevalier des Touches, 1864) ou mystique (L’Ensorcelée, 1855). Son œuvre la plus célèbre aujourd'hui est son recueil de nouvelles Les Diaboliques, paru tardivement en (1874), dans lesquelles l’insolite et la transgression, plongeant le lecteur dans un univers ambigu, ont valu à leur auteur d’être accusé d’immoralisme.
Même si son œuvre a été saluée par Baudelaire, si plusieurs écrivains ont loué son talent extravagant, notamment à la fin de sa vie, Hugo, Flaubert ou Zola ne l'appréciaient pas. Ses « héritiers » sont Léon Bloy, Joris-Karl Huysmans, Octave Mirbeau ou Paul Bourget et sa vision du catholicisme a exercé une profonde influence sur l’œuvre de Bernanos.
Source Wikipedia

(4) Reynaldo Hahn, né à Caracas le 9 août 1874, et mort à Paris le 28 janvier 1947, est un chef d'orchestre, critique musical et compositeur français d'origine vénézuélienne.
Montrant des dispositions pour la musique, Reynaldo Hahn entre au Conservatoire de Paris en octobre 1885 et devient l'élève d'Albert Lavignac et de Jules Massenet pour la composition. En 1887, il compose déjà une célèbre mélodie sur un poème de Victor Hugo, Si mes vers avaient des ailes. En 1890, il écrit la musique de scène de L'Obstacle d'Alphonse Daudet. Il côtoie dès lors la famille de l'écrivain, chez laquelle seront interprétées pour la première fois Les Chansons grises en présence de Paul Verlaine.
Dans les salons parisiens les plus huppés (chez la princesse Mathilde, la comtesse de Guerne, Madeleine Lemaire), Reynaldo Hahn chante ses mélodies en s'accompagnant au piano. Il s'illustrera brillamment dans ce genre musical durant la première partie de sa vie (1922 est la date de publication du 2e volume de vingt mélodies). Il rencontre de grands noms comme Stéphane Mallarmé ou Edmond de Goncourt. Chez Madeleine Lemaire, en 1894, alors qu'il est invité pour chanter Les Chansons grises, il fait la connaissance de Marcel Proust dont il devient l'amant, jusqu'en 1896. Il entretiendra cette amitié jusqu'à la mort de l'écrivain dont il sera l'un des rares proches à pouvoir se rendre chez lui sans devoir se faire annoncer. Comme le souligne le biographe de Proust, George Painter : « il avait le charme sérieux, l'intelligence et la distinction morale que Proust demandait à l'ami idéal. »
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

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