dimanche 17 mai 2015

3ème carnet - 16 septembre 1918

16 septembre. – Chez les marchands de cadres. 

Les encadreurs sont devenus comme nous autres, anciens bric-à-brac, presque des grands seigneurs. Je cherche un beau cadre Régence, finement sculpté, avec son vieil or, pour le Watteau du marquis de Chaponay, et il est difficile à trouver à cause de cette mesure : soixante-trois x trente-neuf. 
Je vais chez Bourdier en son hôtel du 21, rue de Courcelles et sa concierge m’apprend qu’il est à la campagne depuis deux mois, mais son contremaître est là qui me conduit dans les caves où je vois pour plusieurs centaines de mille francs de cadres. Je m’extasie, mais il me répond que les plus belles pièces ont été envoyées à Versailles et en Bretagne, pour des millions. 
Je ne trouve rien et je pars chez Lebrun, 50, rue Saint-Lazare. Sa femme me reçoit avec un collier de perles au cou, et me dit : « Nous n’avons rien ici, nous avons envoyé en province pour plus de deux millions de francs de cadres, descendez quand même à la cave. » J’en vois pour plusieurs centaines de mille francs. 

Charles Thévenin (1764-1838), Mademoiselle Mars dans une robe de soie mauve, 1821, cadre d’époque Empire-Restauration.

Maintenant, je cours chez le vieux Loyer, 4, rue de Tournon. Je trouve une maison de rapport, mais il habite un hôtel au fond, entre cour et jardin. Un de ses fils me reçoit et me dit : « Nous n’avons pas une seule pièce ici. Mon père est à Vendôme avec sa collection. Il n’a laissé que le mobilier Empire de Mlle Mars, avec son lit dans lequel il couche à Paris, et sa glace. » Il m’apprend que toute la maison leur appartient et qu’elle a été payée, il y a une dizaine d’années, entre sept et huit cent mille francs.

Une boiserie de Salembier

Cet intérieur, du commencement du Directoire, est ravissant, toute la décoration est de l’époque. La salle à manger est ovale et dallée de marbre, mais c’est surtout le salon qui est magnifique, avec une boiserie de Salambier composée de huit panneaux, avec cinq dessus de porte qui représentent des fêtes et des sacrifices antiques. Elle a été malheureusement repeinte il y a peut-être vingt ans, mais on pourrait la décaper. 

Offensive de paix.

L’Autriche la commence, M. Bertron m’en avait averti. Nos ennemis nous proposent de nous asseoir autour d’un tapis vert. 

L’art de Corot.
Les bûcheronnes (1872), Camille Corot - Musée des Beaux-Arts d'Arras (62)

C’est de savoir faire dévier les branches. J’y pense, en regardant un sous-bois chez Georges Bernheim, avec une percée qui est une coulée d’argent. Une femme est agenouillée à gauche, de profil, en jaune, et elle ramasse du bois, aidée d’une fillette en grenat. (Cette toile a environ soixante centimètres de haut sur cinquante.)

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

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