dimanche 31 mai 2015

3ème Carnet - 13 octobre 1918

13 octobre. – Victoire.

L’Allemagne répond au président Wilson qu’elle accepte ses conditions de paix, et elle se déclare, avec l’Autriche, prête à évacuer les territoires envahis en vue d’un armistice. Aussi vais-je appeler mon fils Jean Victor !

Sur Groult.
Tapisserie de Boucher

Joe Duveen me raconte ceci : « Il y a bien des années, j’étais très jeune alors, nous avions acheté en Angleterre quatre merveilleuses tapisseries de Boucher. Je les apporte à Paris ; j’en parle à Groult et je ne lui cache pas que je suis pressé de retourner à Londres. Il m’invite à dîner et il avait du monde. A 11 heures nous restons seuls. « Et mes tapisseries, lui dis-je. – Nous avons le temps, prenez ce verre de punch. – Je ne bois pas. – Vous avez tort, essayez. – Non merci. – Bien, alors revenez demain après le dîner. » Je reviens le lendemain, il m’offre des liqueurs que je refuse et pendant huit jours il continue ce manège, mais chaque soir il parvenait à me faire baisser mon prix. Parce qu’il me savait anxieux de partir, il me forçait à rester à Paris. Il a cyniquement avoué plus tard à un de ses amis qu’il avait cherché à me griser. Le dernier soir, je lui vends les tapisseries six cent mille francs. Il appelle sa femme et lui dit d’apporter cette somme. Il compte les six cents billets ; il m’oblige à les compter après lui, il était 11 heures du soir, j’en avais assez. Enfin, je rentre au Continental et je dépose l’argent dans le coffre. A 1 heure du matin, on me réveille, on me demande au téléphone. C’est Groult. « Allo ! Duveen, vous avez oublié de me donner un reçu, apportez-le-moi tout de suite. » J’ai raccroché assez rapidement. Il a attendu son papier jusqu’au matin. » 

Gros prix.
Quentin Metsys - Peter Gilles
Sans doute le Metsys de Lord Radnor- Source National Gallery

Je dis à Joe : « J’ai offert à Henderson quarante mille livres pour ses deux Rembrandt. Trente mille livres pour le portrait de l’homme seul. Cherchez à les avoir en retournant à Londres. Il y a cinq ans, j’ai offert cent mille livres pour le Vélasquez, le Holbein et le Quentin Metsys de Lord Radnor. Aujourd’hui, vous pouvez lui en donner cent quarante mille livres. »

Baron Joseph Bonnier de La Mosson, 1744 par Nattier

A son tour, Joe me dit d’offrir trente-six mille livres pour le Rembrandt du prince de Broglie. Je lui demande de me montrer le Nattier qu’il a repris à Huntington dans un échange. Il m’annonce qu’il vient de le vendre onze mille livres à Tombacco, un Egyptien (1)*.

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Note de l'éditeur et de l'auteure du blog

(1) Aujourd’hui dans la collection E. Berwind à New York. (Note de 1929.)
* Baron Joseph Bonnier de La Mosson, 1744 - Galerie nationale d'Art, Washington  [probably 1744 Dr. Alfred Debatz, by 1905 - 1908 S. Guiraud, 1908 Knoedler & Company, 1908 - 1911 Henry Edwards Huntington, 1911 - 1918 Duveen Brothers, Inc., 1918 - N. E. Tamoaco Edward Julius Berwind, by 1929 - 1936 Julia A. Berwind, 1936 - possibly 1939 Margaret Dunlap Behn, possibly 1939 - 1977 Newhouse Galleries, 1977]
Joseph Bonnier de la Mosson (1702-1744) était le descendant d'une famille de marchands de tissu aisés de la ville méridionale française de Montpellier. Il a servi comme officier dans l'armée royale française jusqu'à la mort de son père en 1726. Il était un esprit universel qui se piquait de littérature, de musique et de sciences. Il est décédé subitement le 26 Juillet, 1744. Nattier a commencé le portrait de Bonnier au début de 1744, l'année de sa mort ; il a signé et daté la toile l'année suivante. Le portrait a peu de rivaux dans le portrait français de l'époque, non seulement pour l'élégance de sa composition et le raffinement de sa coloration, mais aussi pour sa délimitation vive de caractère.
Source Wga

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

vendredi 29 mai 2015

3ème Carnet - 12 octobre 1918

Mercredi 12 octobre. – L’antiquaire Georges Samary* (15, rue La Fayette).


Lui aussi possède plusieurs millions. Il me dit : « J’ai commencé avec cent francs. J’étais musicien et le soir je jouais dans l’orchestre du théâtre des Italiens, la plus belle salle qui ait jamais existé ; les instruments de musique m’intéressaient, j’en achetais d’anciens et je les revendais. J’achetais aussi de l’argenterie, quatre-vingts francs une pièce que je revendais quatre-vingt-dix. 


Un encrier de Caffieri ... sans porcelaine de Sèvres !

Un jour, près d’Amiens, se présente ma première grosse affaire. Je trouve un encrier de Sèvres, avec des bronzes de Caffieri, pour trois cents francs. Mannheim vient chez moi et m’en demande le prix, je lui dis : six mille. Il le prend et le vend à Gustave de Rothschild. Il se trouve aujourd’hui chez son fils Robert et vaut facilement cent cinquante mille francs.

Des tapisseries de Beauvais ... sur des fauteuils ! Estampillés Claude Chevigny, maître le 27 avril 1768. Époque : Louis XVI, vers 1780. Matériaux : hêtre mouluré, sculpté et relaqué, tapisserie du XVIIIe siècle, probablement de Beauvais.

« L’affaire qui me permit de me mettre dans mes meubles m’arriva grâce à un vieux revendeur de plumes qui achetait leurs déchets aux tapissiers, et qui me dit un jour : « Samary, j’ai ce qu’il vous faut », et il me montre des morceaux de tapisserie roulés, six fauteuils et leurs manchettes, du Beauvais. « Combien ? » lui dis-je. « Soixante francs. » Trois jours après je les vendais deux mille à un marchand. Ils ont passé en vente quatre ans après et ont atteint seize mille. Je ne les ai pas vus depuis trente-cinq ans. Comme je vous l’ai dit, après cette affaire j’ai pu m’installer. J’ai pris un appartement rue de Navarin, et j’ai acheté deux chambres à coucher, une pour moi et l’autre pour notre fille, une salle à manger et même un salon. »

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Note de l'auteure du blog

* Elise Brohan (1828-1891), la fille de l'actrice Suzanne Brohan, épousa le violoncelliste Samary. De leur union naquirent Georges, Jeanne, Henry et Marie.
Jeanne (1857-1890), doué elle aussi pour le théâtre, devint actrice et débuta à 18 ans à la Conédie Française dans le rôle de Dorine. De fait, elle excellait dans les rôles de soubrettes de Molière. Mais elle rêvait d'incarner une nouvelle de Maupassant, Yvette. L'écrivain, qui n'aimait guère les expériences théâtrales, fuyait la proposition. En septembre 1890, alors qu'elle se trouvait à Trouville, elle apprit qu'il avait enfin accepté. Mais quelques jours plus tard, elle fut victime d'une fièvre typhoïde et, ramenée d'urgence à Paris, succomba peu après.


Portrait d'Henry Samary par Louis Anquetin, Orsay (vers 1890)

Henry, son frère (1865-1902) fut, lui aussi, acteur et connu une brillante carrière à la comédie française jusqu'en 1892. Mais la mort de Jeanne le dévasta et, n'ayant pas obtenu le sociétariat dont il rêvait, il quitta la Comédie Française pour le théâtre de la Gaieté. Puis il abandonna les planches devenant antiquaire avec son frère Georges. Le 27 janvier 1902, alors qu'il partait pour Berlin pour y régler une série de réprésentations, il fut atteint d'une péritonite à laquelle il succomba le 3 février. Il est connu par les portraits que firent de lui Toulouse-Lautrec et Louis Anquetin

Portrait d'Henry Samary par Henri de Toulouse-Lautrec - Vers 1889 - Musée d'Orsay
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Georges Samary (1851-1921), frère aîné de Jeanne et d'Henri, est plus volontiers donné comme musicien et collectionneur d'instruments de musique. On cite le Catalogue des instruments de musique ... composant la collections de M. Georges Samary: et dont la vente aura lieu Hotel Drouot, le mardi 15 mars 1887. Georges est décédé en 1921.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mercredi 27 mai 2015

3ème carnet - 10 octobre 1918

Lundi 10 octobre. Mon troisième fils.

C’est un garçon, et ma femme espérait avoir une fille. Elle sera désolée, j’en ai les larmes aux yeux. Il est laid, son nez est aplati et allongé, une énorme bouche mais ses mains sont exquises, ses ongles semblent bordés de neige. Il se transforme de minute en minute, et à midi vingt-cinq il est déjà gentil et a figure humaine. Ses yeux sont bleus, son nez petit, sa bouche aussi. Mais comment l’appeler* ? Nous n’avons cherché qu’un nom de fille. Ernest aussi est désolé car sa maman lui avait promis une petite sœur. Il regarde le petit être avec un grand sourire et une énorme joie. Pierre, étonné, reste grave.

Ma bibliothèque.
Source Tajan

Mes achats d’hier et d’aujourd’hui à la vente Le Petit, n° 3064 : Verlaine, Confessions, manuscrit. Très intéressant, francs : 2937,50, n° 3138 : Vigny, La Maison du berger, exemplaire avec envoi à sa femme, francs : 1 282,25 ; n° 3159 : Premières poésies, exemplaire probablement unique sur papier quadrillé en or, francs : 385,90 ; n° 3167 : l’Eve future, sur Hollande, francs : 705,60 ; n° 3169 : l'Eléphant sacré à Londres, manuscrit autographe. Les Villiers de L’Isle-Adam sont restés au-dessous des prix d’estimation. 

Les nouvelles.

Les Allemands sont en retraite et leur gouvernement prépare le peuple à la défaite par un système de dépêches lancées de La Haye et de Berne.

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Note de l'auteure du blog

* Les parents lui choisiront finalement le prénom de Jean.
Jean Gimpel (10 octobre 1918 - 16 juin 1996 à Londres) est un historien médiéviste et essayiste français.
Jean Gimpel est le frère cadet de Doug Roy (5 août 1913 - 26 janvier 1973) - son frère Ernest -, connu sous le nom de Charles Gimpel, son prénom lui venant de la clandestinité et de Pierre/Peter Gimpel (26 octobre 1915 - 12 juin 2005), fondateurs de la galerie londonienne Gimpel Fils en 1946. Très influente, la galerie Gimpel Fils (le « fils » est un hommage à leur père René), a promu le travail d'artistes tels que Nicolas de Staël, Pierre Soulages, Marcel Duchamp, Yves Klein, Lynn Chadwick, Anthony Caro, etc. Héritier de l'une des plus fameuses dynasties de connaisseurs du siècle, il eut comme répétiteur privé l'historien d'art Anthony Blunt. Dès 1940, Mme Gimpel - née Florence Duveen - ayant quitté Paris, le père et les trois fils la retrouvèrent et allèrent vivre dans le Midi ; « faisant du renseignement », ils firent partie de l'un des premiers réseaux de la Résistance française.
Après l'Occupation, Jean se fait courtier en pierres précieuses « avant de revenir à l'essentiel, à l'art ». En 1963, il publia les précieux Carnets (1918-1939) de son père, document très vivant sur le marché de l'art au début du xxe siècle. Son œuvre d'historien a notamment pour objet la question des techniques et du progrès ou des régressions civilisationnelles.


Ses travaux ont nettement participé à une réhabilitation du Moyen Âge. Avec Lynn White Jr., il est le cofondateur en 1984 de l’Association Villard de Honnecourt for the interdisciplinary study of medieval science, technology and art (Avista) à Kalamazoo (Michigan).
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

lundi 25 mai 2015

3ème carnet - 30 septembre - 9 octobre 1918

30 septembre. – Aux Gobelins.
Tapisserie de Reims- Série sur le thème du Cantique des cantiques.

On y abîme les tapisseries de Reims au lieu de les réparer. Le travail est exécuté par de pauvres vieilles femmes qui piquent dans les morceaux anciens et intacts avec un entrain qu’elles ont l’air de croire, ma foi, patriotique. On les laisse faire ! Je parcours les ateliers avec Robert Bonfils qui me montre une de ses œuvres, un éventail en cours d’exécution. Sous un arbre ami de Musset et sous un ciel bleu, bleu étoilé, bleu Bonfils, l’amoureux romantique, infime et éperdu, baise la main de son amante en crinoline jaune, coquette et perdue d’amour.

Un copie ancienne par les Gobelins de l'Embarquement pour Cythère

On travaille à deux tapisseries : Le Petit Poucet et La Belle au Bois dormant, de la qualité des tapisseries flamandes du XVIIe. Le mauvais goût du XIXe semble être devenu une tradition dans cette maison. On fabrique du XVIe siècle à la Viollet-le-Duc pour le palais de justice de Rennes. Mais le comble c’est un embarquement pour Cythère avec un cartouche, je crois : « Gloire à Watteau. » Il manque un pendant : « Honte aux Gobelins. »

9 octobre. – Drapeau rouge. 
Et dans le même temps, en octobre 1918, manifestations communistes à Berlin

Des manifestants l’ont arboré à Ménilmontant et à Belleville… pour protester contre l’armistice qu’on va accorder aux Boches sans entrer dans leur pays, sans leur donner une idée de l’invasion.

Ma bibliothèque. 

Mes achats à la vente Le Petit, n° 2739 : Sainte-Beuve, Livre d’Amour (1843), manuscrit qui servit sans doute pour l’impression, francs : 4 510 ; n° 2747 : Sainte-Beuve, Lettres à la Princesse, sur Hollande, acheté parce que je possède les lettres originales, francs : 223,25 ; n° 2957 : Jules Tellier, Reliques, sur Japon, n° 3, francs : 675,65 ; n° 2763 : Samain, Au jardin de l’infante, sur Hollande, non numéroté, francs : 1 527,50 ; n° 2768 : Le Chariot d’Or, sur Japon, n° 5, francs : 1 198,50 ; n° 2 270 : Samain, Contes, sur Chine, exemplaire D, francs : 998,65.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

samedi 23 mai 2015

3ème carnet - 24 septembre 1918

24 septembre. – Sur une édition de Balzac.
Balzac Le médecin de campagne édition Louis COnard illustré par Charles Huard

« Ce fut très osé, dis-je à l’éditeur Conard*, d’avoir tenté un Balzac illustré, c’était difficile de trouver l’artiste ; et Huard n’a pas dessiné des types d’aujourd’hui, mais bien de l’époque. Il la connaît et il a bien compris aussi l’esprit de Balzac.
— Très intelligent, Huard, fait Conard ; j’avais l’intention de confier l’œuvre à trois ou quatre artistes. Je pensais à Abel Faivre pour les femmes, à Steinlen pour le peuple et les paysans, à Forain pour les hommes d’affaires. Huard me dit : « Vous avez tort, l’ensemble manquera d’unité, puis, vous avez toujours un artiste en retard sur les autres. Comment manierez-vous Forain, mauvaise tête, sale caractère ? Je connais mon Balzac, je me charge de tout. »


« Savez-vous au moins, fis-je, croquer une jolie femme ? » Il prend son crayon et m’en dessine une très jolie que nous avons placée dans le premier volume. « Mais, lui dis-je, pourrez-vous exécuter quatorze cents dessins ? » « Combien de temps me donnez-vous ? » me demande-t-il. « Cinq ans. » Il fait : « C’est entendu, je vous les livrerai. »


Je vis beaucoup Huard dans le cours de la première année, mais il me montrait bien peu de dessins, et je lui demandais si, vraiment, il travaillait : « Partout, Conard, partout, jusque dans le lit de ma femme et même dans les cabinets. »

Charles Huard (1874-1965). Cahier de croquis pour l'illustration de Balzac

« Au bout d’un an il m’apportait les quatorze cents dessins. »
Pendant que Conard parle, je feuillette Madame de Langeais et, à la page 216, l’éditeur m’arrête et me dit : « C’est le portrait de sa femme. » Je lui demande s’il le fit souvent ; il me répond que non, et il ajoute : « Mais il se servit beaucoup de son larbin qui avait une tête épatante et qui lui fut très utile. 
— Pour les domestiques ?
— Non, pour les hommes d’affaires. »



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Note de l'auteure du blog

* Les Éditions Louis Conard étaient une maison d'édition française du XXe siècle fondée et dirigée par Louis Conard en 1902.
Louis Conard (1867-1944), formé aux éditions Alphonse Lemerre, lança en 1902 une maison spécialisée dans les œuvres complètes d'auteurs du XIXe siècle. Le siège était situé au 6 place de la Madeleine ; on y trouvait une librairie vendant par ailleurs surtout des livres anciens à une clientèle assez chic. On doit à Louis Conard, entre autres, l'édition des œuvres complètes de Baudelaire, d'Alexandre Dumas (1923-1945), de Guy de Maupassant (éditée par Pol Neveux), ainsi que l'édition illustrée par Charles Huard des Œuvres complètes (1912-1940) d'Honoré de Balzac sous la direction de Marcel Bouteron.
 Concernant Flaubert et outre son œuvre romanesque et ses essais, Conard permit entre 1926 et 1930 l'édition en 9 volumes d'une bonne partie de la correspondance générale de l'auteur, soit près de 2000 lettres. Marques et colophons de la maison furent un temps dessinés par Ferdinand Bac : l'un représentait une dame en crinoline tenant à la main un livre et légendé ainsi : « Une dame élégante sort, ravie, de la librairie Conard ». En janvier 1943, Conard cède sa maison et sa librairie au galeriste Jacques Lambert, propriétaire de la Galerie de France. Le fonds sera liquidé par le fils de ce dernier, Jean, en 1976.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

jeudi 21 mai 2015

3ème Carnet - 23 septembre 1918

23 septembre. – Des Corot chez Georges Bernheim. 

Je lui dis que, quand j’étais très petit enfant, j’aimais déjà Corot, et il me répond avec une merveilleuse sincérité dans la voix : « Moi, j’ai une raison bien plus forte pour l’aimer, c’est qu’il m’a fait gagner de l’argent. » Quand les Allemands marchaient sur Paris, en mai dernier, Georges Bernheim n’a pas perdu la tête. Un marchand d’antiquités nommé Helft avait dans sa collection particulière un Corot (1) qu’il avait acheté pour environ dix-huit mille francs à Versailles, à la vente d’un nommé Denevers, un ancien ami de Corot. Bernheim va le trouver et lui dit : « Vendez-le-moi, vous n’aurez pas besoin de l’envoyer en province. » Devant les événements, l’autre le lui céda.

La route de Sin-le-Noble, près de Douai-Musée du Louvre

C’est le premier que Georges me montre aujourd’hui. Il en veut trente-cinq mille francs et il demande soixante-dix mille francs de La Route de Douai (2) qui est pareille à celle de la collection Thomy Thierry...


.... et quatre-vingt-dix mille francs d’une Bohémienne au tambour de basque (3) ; elle est en pied, avec un corsage rouge, une main droite un peu trop forte. C’est une belle toile.

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Notes de l'éditeur

(1) Numéro 1414 du catalogue de Moreau-Nélaton.

(2) Environ soixante de large sur quarante.

(3) Numéro 1033 du catalogue Moreau-Nélaton (environ soixante de hauteur et quarante de largeur.)

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mardi 19 mai 2015

3ème Carnet - 20 septembre 1918

20 septembre. – Enterrement d’Abel Ferry. 

Abel Ferry* - Source ici

Député, inspecteur aux armées, vient d’être tué au front. Il avait bien travaillé pour la France. Dans un groupe où je me trouve, le général Guillaumat, qui a préparé le plan d’attaque à Salonique, nous apprend que ce début d’offensive et de victoire sur les Bulgares n’est qu’un commencement. Sous la voûte de la maison mortuaire, 1, rue Bayard, qui est tendue de noir et d’argent, nous sommes effroyablement serrés.

Clémenceau et Poincaré à Colmar le 10 décembre 1918. © Excelsior – L'Equipe / Roger-Viollet

Après les discours, notre président Poincaré sort le premier, son visage est d’un blanc peureux, il sent derrière lui Clémenceau, son président du conseil, ramassé, boule et dogue. Poincaré trop droit, rentre son derrière dans son ventre et a l’air de se dire : « Clemenceau va me flanquer son pied au c… » Et c’est bien à cela que Clemenceau pense.

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Note de l'auteure

* Abel Édouard Jules Ferry (né le 26 mai 1881 à Paris 16e - Mort pour la France, le 15 septembre 1918 à Vauxaillon (Aisne), est un homme politique français. Il est élu député des Vosges en 1909. Il est le neveu « adoré » de Jules Ferry.
Après avoir réussi son diplôme d'études supérieures d'histoire, il devient avocat. Le 20 novembre 1913, il épouse Hélène Berger qui lui donne une fille Fresnette, le 22 juin 1918. Ce prénom reprend le nom d'une des dures batailles auxquelles Abel Ferry a participé en 1915 à Fresnes-sur-Woëvre avec le 166e R.I4. Abel ne connut sa fille que quelques mois, avant de mourir sur le champ de bataille. Fresnette épousa plus tard l'homme politique Edgard Pisani (né en 1918).
Du fait de son histoire familiale, il se mobilise sur les grands débats et en particulier en politique étrangère. Partisan d'une armée forte, il appuie Clemenceau contre Jaurès, et vote en faveur de la loi de 1913 instituant le service militaire de trois ans. Cette même année, il fait casser la décision de réforme numéro 2 pour la tuberculose qu'il avait contractée en service en 1903 et qui l'avait fait verser dans le cadre de réserve.
Le 3 août 1914, il rejoint le 166e régiment d'infanterie de ligne à Verdun comme caporal et démissionne du gouvernement. Sa démission est refusée, mais il reste dans son régiment et monte au front. Adolphe Messimy, le ministre de la guerre le nomme sous-lieutenant et le 26 août, René Viviani, remaniant son gouvernement, le confirme dans son poste. Il restera membre du deuxième gouvernement formé par René Viviani jusqu'à sa chute, le 29 octobre 1915. Avec son régiment il participe aux combats en Woëvre, sur la Crête des Éparges, en Argonne jusqu'en juin 1916, tout en contribuant aux travaux gouvernementaux puis parlementaires après la chute de Viviani. Il reçoit deux citations à titre militaire en novembre 1914 et en avril 1916.
Le 29 juin 1916, à la suite de la réunion du comité secret de la commission de la Guerre dont il fait partie depuis 1915, il est désigné Délégué au contrôle, commissaire aux Armées. Il entreprend alors un intense travail de harcèlement du Parlement et du gouvernement pour améliorer le sort des combattants, la force des Armées, l'unité des Alliés. En dehors des assemblées, il parcourt inlassablement le front et conduit sa mission d'Inspection aux Armées. Le 8 septembre 1918, il vérifie le fonctionnement d'un nouveau fusil mitrailleur dans les premières lignes dans l'Aisne, avec un député d'Angers, Gaston Dumesnil, et un lieutenant. Un obus fauche la délégation. Les deux accompagnants sont tués, Ferry est évacué, gravement blessé. Clemenceau vient lui remettre lui-même la Légion d'honneur et une citation comportant la Croix de guerre avec palme. Il meurt huit jours plus tard.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

dimanche 17 mai 2015

3ème carnet - 16 septembre 1918

16 septembre. – Chez les marchands de cadres. 

Les encadreurs sont devenus comme nous autres, anciens bric-à-brac, presque des grands seigneurs. Je cherche un beau cadre Régence, finement sculpté, avec son vieil or, pour le Watteau du marquis de Chaponay, et il est difficile à trouver à cause de cette mesure : soixante-trois x trente-neuf. 
Je vais chez Bourdier en son hôtel du 21, rue de Courcelles et sa concierge m’apprend qu’il est à la campagne depuis deux mois, mais son contremaître est là qui me conduit dans les caves où je vois pour plusieurs centaines de mille francs de cadres. Je m’extasie, mais il me répond que les plus belles pièces ont été envoyées à Versailles et en Bretagne, pour des millions. 
Je ne trouve rien et je pars chez Lebrun, 50, rue Saint-Lazare. Sa femme me reçoit avec un collier de perles au cou, et me dit : « Nous n’avons rien ici, nous avons envoyé en province pour plus de deux millions de francs de cadres, descendez quand même à la cave. » J’en vois pour plusieurs centaines de mille francs. 

Charles Thévenin (1764-1838), Mademoiselle Mars dans une robe de soie mauve, 1821, cadre d’époque Empire-Restauration.

Maintenant, je cours chez le vieux Loyer, 4, rue de Tournon. Je trouve une maison de rapport, mais il habite un hôtel au fond, entre cour et jardin. Un de ses fils me reçoit et me dit : « Nous n’avons pas une seule pièce ici. Mon père est à Vendôme avec sa collection. Il n’a laissé que le mobilier Empire de Mlle Mars, avec son lit dans lequel il couche à Paris, et sa glace. » Il m’apprend que toute la maison leur appartient et qu’elle a été payée, il y a une dizaine d’années, entre sept et huit cent mille francs.

Une boiserie de Salembier

Cet intérieur, du commencement du Directoire, est ravissant, toute la décoration est de l’époque. La salle à manger est ovale et dallée de marbre, mais c’est surtout le salon qui est magnifique, avec une boiserie de Salambier composée de huit panneaux, avec cinq dessus de porte qui représentent des fêtes et des sacrifices antiques. Elle a été malheureusement repeinte il y a peut-être vingt ans, mais on pourrait la décaper. 

Offensive de paix.

L’Autriche la commence, M. Bertron m’en avait averti. Nos ennemis nous proposent de nous asseoir autour d’un tapis vert. 

L’art de Corot.
Les bûcheronnes (1872), Camille Corot - Musée des Beaux-Arts d'Arras (62)

C’est de savoir faire dévier les branches. J’y pense, en regardant un sous-bois chez Georges Bernheim, avec une percée qui est une coulée d’argent. Une femme est agenouillée à gauche, de profil, en jaune, et elle ramasse du bois, aidée d’une fillette en grenat. (Cette toile a environ soixante centimètres de haut sur cinquante.)

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

vendredi 15 mai 2015

3ème Carnet - 11 septembre 1918

11 septembre. – Sur Rodin.
Braun, Clément et Cie, Portrait de Camille Groult, 1902 
Épreuve au charbon - 22,9 x 16,4 cm Paris, Musée d’Orsay 
 Photo : Musée d’Orsay / Fonds Jean-Léon Gérome et Aimé Morot

Edouard Kann ne prise pas beaucoup son art. « C’était, me dit-il, un artiste incomplet. » Il me rapporte cette anecdote qui lui fut contée par Groult : Groult* possédait dans sa propriété de l’avenue de Malakoff des cygnes blancs magnifiques qui évoluaient dans un bassin au milieu du jardin. « Donne-moi quelques-uns de tes cygnes », lui demande, un jour, le sculpteur. « Non », répond Groult. « J’adore tes cygnes, fait Rodin, donne-m’en quelques-uns, je leur construirai dans ma propriété un bassin merveilleux. De mon salon je veux jouir sans cesse de leur vue. » « Bien, répond Groult, mais construis-le d’abord, ton bassin. » Quelques mois plus tard, Rodin lui annonce que le bassin est terminé. Groult fait : « Mes cygnes attendent des petits que je t’apporterai moi-même dans un mois. » Ce qui fut dit, fut fait. Avant de les pousser dans l’eau, Rodin fit admirer son œuvre à notre amateur. Les cygnes entrèrent dans le bassin avec joie. C’est alors que Rodin entraîna Groult dans son salon pour le faire jouir une heure de cette vue qu’il se promettait constante. Hélas ! le rebord du bassin était trop haut ! On ne pouvait les voir.

Le bassin du musée Rodin à l'Hotel de Biron**

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Notes de l'auteure du blog

* Situé en face du Palais Rose (de Boni de Castellane)... l'ancien hôtel particulier de Camille Groult, fabricant de pâtes alimentaires, et possédant une des plus remarquable collection de peintures du XVIII siècle .... agrandi par Hypolite Destailleurs et détruit depuis.
Source Evous

Camille Groult (30 juin 1837, Paris - 13 janvier 1908, Paris), est un industriel et collectionneur d'art français.
Héritier d'une riche famille de minotiers (pâtes alimentaires Groult à Vitry-sur-Seine, rue d'Oncy, maintenant rue Camille-Groult, qui fusionnèrent en 1967 avec la marque de semoule Tipiak, usines à Nantes et Pont-l'Évêque), il commença, vers 1860, à collectionner des tableaux, dessins et pastels du XVIIIe siècle français, mais délaissa ce thème autour de 1890, pour acquérir des tableaux du XVIIIe siècle anglais. "Ami du Louvre", plus tard donateur d'une riche collection, il fut sans doute le plus grand amateur de peinture britannique en France à la fin du XIXe siècle. Grâce à ce don, le Louvre conserve à présent un ensemble d’œuvres de Raeburn sans exemple hors du monde anglo-saxon. Marié à Alice Thomas, fille du préfet Théodore Thomas (1803-1868) et de Rose Françoise Anaïs Tassin de Moncourt, il est le grand-père de Pierre Bordeaux-Groult.
Source Wikipedia

Voir aussi
Camille Groult, le rose de Boucher et le rouge de Reynolds

** L'hôtel Biron fut construit au début du XVIIIe siècle. Il est entouré d'un grand jardin, dans Paris. Au début du XXe siècle, on menace de le détruire. Alors, de nombreux artistes s'y installent, comme Jean Cocteau, Henri Matisse, Isadora Ducan qui y crée un atelier de danse. Rodin y emménage en 1908. Dans les jardins, il place ses sculptures antiques; dans l'hôtel, ses sculptures, plâtres, moulages, dessins. En 1911, l'État achète la propriété. Rodin propose de donner toutes ses œuvres à l'État si celui-ci transforme l'hôtel en musée Rodin. Le projet est accepté et le musée ouvre en 1919.
Mais il peut aussi s'agir d'un bassin construit dans la propriété de Rodin à Meudon :


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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mercredi 13 mai 2015

3ème Carnet - 9-10 septembre 1918

9 septembre. – Sur Teddy Roosevelt junior.*

Le capitaine Snowden Fahnestock, de l’armée américaine, gendre de M. Bertron, que nous avons rencontré à New York, dînait hier soir chez son ami Teddy Roosevelt qui lui raconta qu’il y a quelques jours il cherchait sur les grands boulevards une maison où il pourrait acheter un gant de base-ball ; il accosta un vieux monsieur qui donnait le bras à sa femme, et baragouinant le français il leur dit : « Base-ball (prononciation française : bésebol), base-ball, maison sport, où maison sport ? » Le couple se regarda, surpris, puis se concerta, et enfin le vieux monsieur tira de sa poche un carnet, hésita entre deux ou trois adresses, et finit par lui en donner une. Teddy Roosevelt s’y rendit. Il y trouva une maison close. 

10 septembre. – Sur Forain. 
Jean Louis Forain et sa femme

Au début de la guerre, et même pendant plusieurs mois, il se traînait sur les grands boulevards en simple pioupiou où un de ses amis le rencontrant lui dit : « Comment, c’est toi, Forain, en cette tenue ! » L’artiste à l’esprit si caustique resta court. « Bien oui, c’est moi, comme ça. – Ah ! reprend l’ami, si ce n’était pas toi, que dirait Forain de te voir ainsi ? »

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Note de l'auteure du blog

* Theodore Roosevelt Jr. ou Theodore Roosevelt II (13 septembre 1887 – 12 juillet 1944) est un homme politique, homme d'affaires et militaire américain qui combattit durant la Première Guerre mondiale et reprit du service pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est le fils aîné du président des États-Unis Theodore Roosevelt (1858 - 1919) et le lointain cousin du président Franklin Delano Roosevelt (1882 - 1945). Roosevelt servit comme secrétaire adjoint à la Marine (1921-1924), gouverneur de Porto Rico (1929–1932), gouverneur-général des Philippines (1932–33), président de l'American Express Company, vice-président de Doubleday Books et enfin Brigadier General dans l'US Army. Il mourut d'une crise cardiaque sur le front normand.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

lundi 11 mai 2015

3ème Carnet - 7 septembre 1918

7 septembre. – Sur le « Baglione » de Nattier. 
Marquise de Baglione en Flore par Nattier (on remarque sur ses genoux une superbe tulipe !)

Helleu me dit : « Votre Nattier est un des plus beaux du monde. Il a une tulipe dont le geste est gracieux. » La comtesse Armand avait chargé, il y a vingt ans, Durand-Ruel de le vendre. Degas et moi le montrâmes à la comtesse de Béarn qui aurait pu l’avoir pour cent soixante mille francs. Degas lui dit : « Achetez-le, je pourrai le copier. » Elle répondit : « Je n’ai pas d’argent. – Vous n’avez pas d’argent, m’écriai-je, eh bien ! faites des dettes (1) ! » 

Le comte Boni de Castellane.

Boni, qui avait trois ou quatre millions de rentes, me parle d’entrer comme vendeur chez moi à New York pour cinq mille francs par mois, et il ajoute : « Autrement, je me ferai député ou sénateur. »

Chez Helleu. 
Paul Helleu dans son atelier

45, rue Emile-Menier, au cinquième étage, avec une belle vue sur les jardins de la Fondation Thiers. Il me montre un Watteau qu’il a acheté pour deux mille francs dans une vente à l’hôtel Drouot. Tout Paris parle de cette découverte sensationnelle. Il est faux (2).

La perspective (vue à travers les arbres dans le parc de Pierre Crozat) 1715 par Antoine Watteau au musée de Boston (qui ne le donne pas comme faux ! Gimpel serait-il jaloux de cette découverte ??)

Helleu me raconte qu’il a toujours cherché à s’inspirer de Watteau et même que Degas fit ce mot : « C’est du Watteau à vapeur. » Helleu continue : « Je travaille vite, mon plus gros succès fut la duchesse de Marlborough dont j’ai terminé la planche en quatre heures. En quelques semaines, j’ai vendu mille exemplaires à cent francs pièce. »

Les deux cousines de Watteau, actuellement au Louvre

Il m’apprend qu’il vient de faire acheter le Watteau de Michel Lévy Les Deux Cousines pour deux cent vingt mille francs.


Helleu est aussi rosse que ses amis Boldini, Sem et Degas. Il me dit : « J’aimerais détruire quinze cents de mes pointes sèches et n’en garder que quatre. » En ancien, il a beaucoup de goût et de connaissances. Il possède de très beaux cadres et quelques morceaux de bois doré remarquables ainsi que quelques sièges.

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Notes de l'éditeur

(1) Ce tableau est aujourd’hui en Amérique. Acheté d’abord par Ambatielos, un Grec qui demeure à Paris et qui perdit son argent, il fut racheté par N. Wildenstein qui le revendit à Erickson.

(2) Il a été acheté par le musée de Boston. (Note de 1927.)

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

samedi 9 mai 2015

3ème Carnet - 6 septembre 1918

6 septembre. – Sur Renoir.
Madame Stora en algérienne par Renoir - 1870

Il y a au moins trente ans, le peintre avait rencontré dans une ville d’eaux la belle Mme Stora dont les fils sont antiquaires et il lui avait demandé de la peindre. 

Il existe un portrait de Clémentine Stora non par Benjamin Constant (de son vrai nom Jean Joseph Constant) mais par Constant-Joseph Brochart, 1880. Pastel. Collection privée, New York. C'est sans doute ce portrait auquel Gimpel fait allusion ci-dessous. Source Wikipedia


Benjamin Constant avait aussi fait son portrait. Il y a quelques années, Helleu voit le Renoir chez les Stora qui trouvaient ce tableau horrible et il leur demanda de l’acheter. Ils le lui donnèrent pour trois cents francs tandis qu’à aucun prix ils n’auraient voulu vendre le Constant. Depuis, Monet a acheté ce portrait de Mme Stora qui est, paraît-il, un des plus beaux Renoir. 

Vollard et Renoir. 
Ambroise Vollard par Renoir

Quand Vollard préparait son livre sur Renoir, il se rendait continuellement chez le maître impressionniste avec un peintre nommé Bernard. Vollard s’asseyait à une table avec de l’encre et du papier à lettre et semblait faire sa correspondance.

Le peintre Emile Bernard - Autoportrait

Bernard avait pour mission de faire parler Renoir tandis que Vollard prenait en note tout ce qu’il disait.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

jeudi 7 mai 2015

3ème Carnet - 31 août - 4septembre 1918

31 août. – La Mode. 

Il faut être si maigre que presque toutes les femmes se font masser les jambes. 

4 septembre. – Sur « l’Angélus ».  

Je vois Brandus, dont parlait l’antre mois Georges Petit. C’est lui qui a promené ce célèbre tableau à travers toute l’Amérique ; je lui dis qu’il a dû en entendre des réflexions, et il me répond : « Oh ! à n’en plus finir ! Presque tout le monde voulait savoir à combien revenait le centimètre carré et aussi pourquoi une copie ne serait pas aussi bien. Un tailleur me dit : « Le pantalon de votre paysan ne lui va pas, il est beaucoup trop court, alors comment ce tableau peut-il tant valoir ? » Un visiteur m’interroge : « Pourquoi appelle-t-on ce tableau : l’Angélus ? » Et il ajoute : « C’est probablement le nom du monsieur. » J’entends une fille demander à sa mère pourquoi l’homme et la femme sont si tristes ; celle-ci lui répond qu’ils viennent d’enterrer leur enfant. Conversation entre deux paysans : « Pourquoi regardent-ils la terre d’un air si malheureux ? – Parce que les insectes ont mangé « les semences et qu’ils n’auront pas de récolte. »

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mardi 5 mai 2015

3ème Carnet - 21 août 1918

21 août. – Le Lorenzo Monaco du musée de Boston.


Le mariage mystique de Sainte Catherine -  environ 1340 - Barna da Siena (italien (Sienne), actif de 1330 à 1350 (Sienne)) : au musée de Boston (voir la note*)
Source le musée de Boston

Je l’ai acheté cent cinq mille francs, en même temps que le Gentile da Fabriano que j’ai vendu à Henry Goldman de New York et le Pietro Alamanno que je possède encore. J’ai trouvé cette indication par hasard en ouvrant un livre de comptabilité. Je m’amuserai quand j’aurai le temps à revoir mes vieux livres et à donner des indications sur les prix de notre époque.

Évacuation des objets d’art.
Chantilly : arrivée du Prix de Diane : M. Edouard Kann, propriétaire de Reganda : [photographie de presse] / Agence Meurisse Source Gallica

Edouard Kann (1) m’en parle, qui a une assez grande collection. Il est le neveu de Rodolphe Kann qui possédait la fameuse collection que nous avions achetée dix-sept millions avec Duveen frères. Il est le fils de Maurice qui avait aussi une très belle collection dont nous acquîmes les plus beaux tableaux.


Il me dit : « Les Boches avaient entrepris l’attaque de cette formidable position, le Chemin des Dames. Ils l’enlèvent en un tournemain. C’est qu’elle n’était plus gardée que par trois divisions territoriales et deux des divisions anglaises décimées deux mois auparavant quand elles reculaient jusqu’aux abords d’Amiens. Elles avaient été placées là, en quelque sorte, au repos, avec un moral très mauvais. Les Allemands comptaient s’arrêter, mais, ne trouvant personne, ils avancent pendant trois jours de soixante-dix kilomètres, l’arme à la bretelle. Dix mille hommes des nôtres, des cavaliers, descendent du Nord, leur barrent la route et les Boches s’arrêtent devant notre première tentative de résistance.

Photographie du musée de Douai en octobre 1918. BDIC/MHC, Paris - Source musée de Douai

« C’est alors que les Beaux-Arts s’occupèrent de faire déménager les objets d’art. Je ne voulais rien bouger, ils insistent et m’offrent un immense wagon dans lequel ils empilent seize cent mille francs de marchandises.

ARTS (Les) N° 88 DU 01/04/1909 - TOCQUE - Portrait de femme - Collection de feu Maurice Kann - Brouwer - Collection de M. KANN

Dix tableaux, dont mes deux panneaux de Fragonard, de la vente Crosnier, ma femme de Tocqué, mes Largillière, mon petit Boilly, la femme à l’oiseau qui m’a coûté vingt-trois mille francs, ma bibliothèque de Strasbourg et quelques autres meubles.
« Le Louvre, les Arts décoratifs, le Petit Palais déménagèrent incroyablement vite. Ce fut un beau tour de force ! »

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Note de l'éditeur

(1) Il a écrit un journal pendant la guerre, il me l’a dit. Il peut être intéressant. Kann, mort il y a deux ans, était très instruit. Il était auxiliaire, et fut placé à la Maison des Journalistes où on était très au courant des dernières nouvelles et où passaient tant de gens intéressants.

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Note de l'auteure du blog

* A propos de cette toile de Barna da Siena, le musée précise dans sa notice :
Provenance
1858, Robert Macpherson, Rome [Otto Mündler signale avoir vu la peinture à Rome le 12 mai 1858, chez Mme Anna Jameson, la tante de la femme de Macpherson ("Les Travel Diaries de Otto Mündler , "Walpole Société 51 (1985): 234). Robert Macpherson était un artiste écossais qui s'installe en Italie en 1840 et a travaillé à titre de courtier.].
1859, William Blundell Spence (b 1814 -.. D 1900), Londres [De Londres, Spence a écrit à Lord Alexander William Lindsay le 27 Juillet 1859, parlant de trois tableaux qui venaient d'arriver de Rome (que ce soit des tableaux achetés à Macpherson n'est pas précisé), y compris le tableau AMF, attribué à Simone Martini. Voir John Fleming, "Dealing Art dans le Risorgimento,« Burlington Magazine 121 (1979): 503, n. 62 et 579, et Hugh Brigstocke, "Lord Lindsay comme Collector», Bulletin de la John Rylands Library 64 (printemps 1982): 321, n. 4.].
Alexander Barker (1873 d.), London [Dans une lettre de Wildenstein, Paris, à Walter Gay de l'AMF (28 Décembre, 1915), le tableau est dit avoir été acheté auprès d'Sartoris. Le concessionnaire croit que Sartoris l'a reçu d'un de ses oncles, qui l'avait acheté de la collection Barker. Il ne peut pas être identifié avec l'un des tableaux des ventes aux enchères Barker du 6 Juin, 1874 ou 21 Juin, 1879. ]
Vendus de la collection Barker à l'oncle d'Algernon Sartoris (?); par filiation à Algernon Sartoris -, Paris et Londres (1877 b 1907 d..)
Vendu par Sartoris à Gimpel et Wildenstein, Paris et New York [En plus de l'information fournie par Wildenstein (voir ci-dessus), René Gimpel et Wildenstein a noté le 7 Juillet 1918, qu'il provenait de la collection Sartis [sic]. Il été exposé au Musée des Arts Décoratifs, à Paris, comme une œuvre de Lorenzo Monaco. Voir son «Journal d'un marchand d'art," trans. John Rosenberg (New York, 1966), p. 46. ]
1915, vendu par Wildenstein à l'AMF pour $ 17,727 [donné alors comme un travail de Lippo Memmi.].
Source le musée de Boston

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963