lundi 2 mars 2015

1er Carnet - du 18 au 22 mai 1918

18 mai. – De l’art et de l’amour. 

Georges Bernheim me dit : « Dans un instant, à 6 heures, je vais au b… l de la rue Favart voir seize Toulouse-Lautrec dont on demande cent mille francs. On en aurait refusé cent vingt mille avant la guerre. 
— C’est possible, répond Alforsen, un artiste suédois, car les affaires marchent mal dans les maisons closes. Les femmes trouvent trop de travail au dehors, et les patronnes ne parviennent pas à recruter assez de main-d’œuvre féminine. » 

 21 mai. – Un Rembrandt. 

Old Woman Holding Glasses, 1643, van Rijn Rembrandt (1606-1669) 
The State Hermitage Museum St. Petersburg Russie

J’ai offert cent quarante mille dollars pour le portrait d’une femme âgée de la collection Montgermont, daté de 1643. Elle tient des binocles dans la main droite. Illustré dans Bode. Tome IV .(1)

22 mai. – Collection du marquis de Chaponay, 30, rue de Berri*.


1711- Marie-Madeleine Coskaer de La Vieuville Parabere par l'atelier de Largillière 

Deux anciennes folies placées côte à côte que le marquis a réunies et dont il a fait une charmante maison. Aspect un peu château. Un immense jardin. Terrain de quatre mille mètres. Il n’avait pas un tableau il y a vingt-cinq ans et il se fit une collection en moins d’un an, aidé par la marquise. Ils n’en avaient parlé à âme qui vive, et un beau jour ils invitèrent vingt-cinq amis, des amateurs. Stupéfaction. Les Chaponay, une collection, pas possible ! Grand bruit au faubourg Saint-Germain. Puis, on apprit quelques prix alors sensationnels : deux cent mille francs à Durand-Ruel pour un Nattier, c’était un record. N. Wildenstein en avait offert cent soixante-quinze mille francs. Trois cent cinquante mille francs pour un Romney, une femme en blanc, qui n’est même pas vraie. Plus de cent mille francs pour un Largillière, Madame de Parabère, qui avait appartenu au comte Boni de Castellane auquel mon père l’avait vendu. Plus de deux cent cinquante mille francs pour un Watteau en largeur à cinq personnages, peint sur fond or, avec, à gauche, son vieux joueur de flûte et, au milieu, un danseur, frère de L’Indifférent. Ce doit être un ancien panneau de clavecin. L’or sous la jupe de la danseuse est plein de radiation. Tableau ardent et raffiné !(2)
Que possède encore le marquis ? Une peinture de Lawrence(3), un peu « porcelainisée ». Un ou deux Vigée-Lebrun. Un Schall. Un Mlle Gérard. Un petit amour de Boucher. Un Gainsborough, le portrait de Peel.
Le marquis et la marquise veulent vendre. J’achèterais le Nattier (4)  six cent mille francs, c’est le plus beau qui existe ; le Watteau, deux cent cinquante ; le Largillière, cent vingt-cinq ; le Lawrence, soixante-quinze ; deux mobiliers, cinq cent mille, dont un de Salambier et l’autre à pavots des Gobelins ; dans les cent cinquante mille un Fragonard, La femme à la lettre de l’ancienne collection Mühibacher. Ils l’ont acheté dans les trente mille. Il y a encore un beau bronze : le portrait de Henri IV, puis de jolis meubles, de beaux objets, beaucoup de goût.

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Notes du livre

(1)
Les Duveen, depuis, l’ont acheté plus cher. (Note de 1925.)
(2)
Depuis, chez le baron Edmond de Rothschild.
(3)
Depuis chez Arthur Veil-Picard
(4)
Depuis chez Arthur Veil-Picard

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Note de l'auteure du blog

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Le 30 rue de Berri a été détruit
no 30 : Anciennement hôtel de la marquise de Chaponay, née Constance Schneider (1865-1935). Après elle, il fut la résidence de ses filles, Mlle de Chaponay et Constance Zélie Eudoxie Marie Nicole de Chaponay (1890-1975), duchesse de Lévis-Mirepoix par son mariage avec le duc de Lévis-Mirepoix (1884-1981), membre de l'Académie française. Cette dernière organisait des bals rue de Berri pour les œuvres sociales de la noblesse française. L'hôtel existait encore en 1953.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

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