vendredi 6 février 2015

1er Carnet - 31 mars

31 mars. – Sur Oscar Wilde. 
Estelle Taylor et Albert-Clerk Jeannotte.

Jeannotte* est un imprésario américain, un ancien chanteur. J’ai fait sa connaissance vers 1908 ou 1909 à Montréal où il venait de fonder un Opéra. Quoique imprésario, il est bien élevé. Il m’a raconté qu’il était allié par sa mère à la famille d’Oscar Wilde. Jeannotte était fort jeune quand il rencontra le poète chez une duchesse anglaise. C’était en été, au château, à l’heure du thé, en nombreuse compagnie. La duchesse enleva d’un vase une rose admirable, épanouie, épanouie à s’en déchirer. Elle la respira et elle la fît passer, et chacun la huma, extasié, car son parfum égalait sa beauté.

Oscar Wilde

Elle parvint à Oscar Wilde ; le soleil entrait, débordait par la croisée ouverte ; le poète la respira avec ardeur, mais d’un coup en arracha les pétales et les jeta par la fenêtre. Un frisson d’indignation courut devant ce sacrilège ; Oscar Wilde fit face à ses adversaires et leur dit : « Il eût été trop triste de voir une telle rose se faner. » Les cœurs s’apaisèrent.


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Note de l'auteure du blog

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Célèbre ténor connu sous le nom d’Albert Clerk-Jeannotte mais né sous le nom de Jeannotte seulement, Clerk étant le nom de sa mère. Il entreprit des études musicales principalement avec son oncle, Alexandre-M. Clerk puis étudia l'harmonie avec Xavier Leroux à Paris (1898). Il s’est consacré au chant mais sa santé l’obligea à renoncer à plusieurs projets. Il occupa les postes de journaliste, de professeur au Conservatoire McGill et d'administrateur. En 1906, il se fixa à New York, mais il revint à Montréal (1909) pour fonder, avec l'appui financier de Frank S. Meighen, la Montreal Musical Society qui devint la Compagnie d'opéra de Montréal. 
La fondation d'une troupe permanente d'art lyrique demeurait l'une des principales préoccupations des musiciens montréalais. La Compagnie d'opéra de Montréal était dirigée par deux chefs d'orchestre renommés, Agide Jacchia et Louis Hasselmans. La troupe comptait des solistes de réputation internationale, dont les chanteuses canadiennes Béatrice La Palme et Louise Edvina, 45 instrumentistes, 50 choristes et 15 danseuses en provenance de New York et de Montréal. Se distinguant aussitôt par un haut niveau de professionnalisme, elle interprétait en langue originale le répertoire des grandes maisons d’opéra et ne craignait pas une incursion hors des sentiers battus, puisqu’elle présenta en première nord-américaine, Zaza de Leoncavallo et L'Ancêtre de Saint Saëns. Au total, la Compagnie d’opéra de Montréal a donné quelque 300 représentations, dont une centaine en tournée, et une trentaine de matinées symphoniques. Malgré les succès obtenus, le déficit, assumé presqu’entièrement par le lieutenant-colonel Meighen, s’élevait, au terme de la troisième saison, à plus de 130 000 $.
À l'automne 1916, Jeannotte partit pour Paris avec Wilfrid Pelletier qui avait épousé sa soeur Berthe. De retour à New York (1917), il ouvrit un studio après avoir tenté sans succès de reformer la Compagnie d'opéra de Montréal. Au nombre de ses élèves, on compte Georges Dufresne, Hope Hampton, Ludovic Huot, Henri Pontbriand, Fabiola Poirier, la chanteuse populaire Hildegarde et l'acteur de cinéma Cary Grant.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

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