mardi 10 février 2015

1er Carnet - 11 avril 1918

11 avril. – Sur la « Marche funèbre » de Chopin. 
Edmond Clément

Je rencontre le ténor Clément* qui, à cinquante ans, chante comme à vingt ans. Il prétend que des exercices respiratoires quotidiens lui ont conservé sa voix. C’est bien possible. Je l’ai connu à Montréal où Jeannotte l’avait engagé. C’est à ce moment qu’il m’a raconté comment fut composée la Marche funèbre.

Ziem par Disdéri

Un soir de carnaval, chez le peintre Ziem, un invité se saisit d’une nappe, s’en recouvre et joue au fantôme. Tous les invités le suivent dans cette nouvelle danse des morts. Chopin attrape un squelette suspendu à un gibet et valse avec.


Puis, devant le piano il s’arrête, s’assied sur le tabouret sans lâcher son funèbre colis qu’il place sur ses genoux, et les bras autour de son thorax il improvise une marche funèbre. On s’arrête. « Mais ça c’est bien, lui dit-on, il faut l’écrire. » Chopin la note. Cette fameuse danse funèbre ne fut jouée pour la première fois qu’à son enterrement ! Clément ajoute : «Vous pouvez constater qu’au piano les mains ne se rejoignent pas parce que Chopin étreignait le squelette.» **

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Notes de l'auteure du blog
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Edmond Clément (28 Mars 1867, Paris - 24 Février 1928, Nice) est un ténor de réputation internationale. Clément fit ses débuts sur scène à l' Opéra-Comique en 1889. Il est resté premier ténor de ce théâtre jusqu'en 1909, chantant les rôles d'Ottavio , Tamino , Almaviva , Georges Brown , Fra Diavolo , Gérald , des Grieux , Werther et Hoffmann... Sa carrière ne s'est pas limitée à Paris. Il a également chanté à Bruxelles, Monte Carlo, Madrid, Londres. Aux Etats-Unis il chanta au Metropolitan Opera à New York, où il a joué en 1909-1910.
Clément est revenu en France lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté en 1914 et a ensuite été blessé alors qu'il servait dans l'armée française.
Ses dernières années ont été consacrées à une semi-retraite : il donna son dernier récital à l'âge de 60 ans en 1927 et mourut l'année suivante à Nice. Au cours de sa carrière, il a également enseigné le chant.
Source Wikipedia

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L'anecdote diffère quelque peu du commentaire de Liszt, dans son ouvrage dédié à Chopin, de la marche qui fut jouée lors des obsèques du musicien en 1849 : « Aurait-on pu trouver d’autres accents pour exprimer avec le même navrement quels sentiments et quelles larmes devaient accompagner à son dernier repos celui qui avait compris d’une manière si sublime comment on pleurait les grandes pertes ! Nous entendions dire un jour à un jeune homme de son pays : « ces pages n’auraient pu être écrites que par un Polonais ! » En effet, tout ce que ce cortège d’une nation en deuil pleurant sa propre mort, aurait de solennel et de déchirant, se retrouve dans le glas funéraire qui semble ici l’escorter. Tout le sentiment de mystique espérance, de religieux appel à une miséricorde surhumaine, à une clémence infinie et à une justice qui tient compte de chaque tombe et de chaque berceau, toute la résignation exaltée qui a éclairé de la lumière des auréoles tant de douleurs et de désastres supportés avec l’héroïsme inspiré des martyrs chrétiens, résonne dans le chant dont la supplication est si désolée. Ce qu’il y a de plus pur, de plus saint, de plus résigné, de plus espérant dans le cœur des femmes, des enfants y retentit, y frémit, y tressaille avec d’indicibles vibrations. On sent que ce n’est pas la mort d’un héros que l’on pleure, alors que d’autres héros restent pour le venger, mais bel et bien celle d’une génération entière qui a succombé, ne laissant après elle que les femmes, les enfants et les prêtres. Cette mélopée si funèbre et si lamentable est néanmoins d’une si pénétrante douceur, qu’elle semble ne plus venir de cette terre. Ces sons qu’on dirait attiédis par la distance, imposent un suprême recueillement, comme s'ils étaient chantés par les anges eux-mêmes et flottaient déjà dans le ciel, aux alentours du trône divin. Ni cris, ni rauques gémissements, ni blasphèmes impies, ni furieuses imprécations ne troublent un instant, qu’on prendrait ainsi pour de séraphiques soupirs. Le côté antique de la douleur est totalement exclu. Rien n’y rappelle les fureurs de Cassandre, les abaissements de Priam, les frénésies d’Hécube, les désespérances des captives troyennes. Une foi superbe anéantissant, dans les survivants de cette Ilion Chrétienne, l’amertume de la souffrance en même temps que la lâcheté de l’abattement, leur douleur ne conserve plus aucune de ses terrestres faiblesses, elle s’arrache de ce sol moite de sang et de larmes; s’élance vers Dieu, et ne saurait s’adresser qu’au juge suprême, trouvant pour l’implorer de si poignantes prières, qu’en les écoutant, notre cœur se brise en nous-mêmes, sous une auguste compassion. »
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

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